lundi 30 novembre 2009

Diacritiques en rade



Qui n'aime pas la cédille?
Qui s'en détacherait?
Qui admettrait qu'on retranche cet éclat de gloire wisiglotte de notre grand bordel orthographique cent fois loué?
Qui tolérerait qu'un esprit carré de chez les petits pères linguistes nous l'ôtât (c'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'user d'imparfait du subjonctif sous vos yeux ébahis), dans la foulée simplificatrice de l'heure?

Personne.
Nous, francophones, tous autant que nous sommes, nous arracherions le coeur à mains nues pour cette petite chose-là.

Même moi, si libérale et rationnelle par ailleurs lorsqu'il est question de graphie alphabétique, je me range, cette fois, du côté des adorateurs fous de la tradition.

Heureusement, il n'est pas encore question, là-haut, de trancher de ce lard-là.

La cédille est sauve.
Mais rare, convenons-en.
Caleçon, poinçon, arçon, façon... On ne la croise pas assez souvent dans nos textes.
Et toujours dans les mêmes rimes.

Pourtant, la cedilla (en espagnol, "petit z") recèle un potentiel non-exploité, comme le faisait remarquer une amie linguiste dont la rigueur analytique n'a d'égale que la sagacité; Cartésie, votre réflexion sur la cédille m'inspirat!

La cédille, dans les premiers textes français, marque le résultat d'une transformation phonologique: l'affrication du 'k' du latin tardif entre deux voyelles (passons les détails techniques, je les ignore exhaustivement).

L'évolution linguistique fit en sorte qu'on se retrouva avec les mots issus de l'évolution lente et régulière du latin tardif vers le français, dans lesquels ce fameux 'k' intervolcalique était palatalisé en 'ts' ou 'tch', coexistant avec d'autres mots dotés d'un 'k' intervocalique prononcé à la dure.

La cédille, anciennement petit 'z' tracé sous le 'c', a été introduite pour distinguer ces prononciations différentes d'une même lettre. Une graphie alternative, 'ceo' (pour [so]),permettait d'établir la même distinction dans certains manuscrits.

Ça vous rapelle quelque chose?

On suit, dans le fond de la classe?

Or l'évolution phonologique des langues étant un phénomène somme toute assez régulier et systématique, à certains égards du moins, il était à prévoir que la petite soeur voisée de la consonne 'k', le 'g' dur donc, emprunterait le même chemin.

Il fallut aussi distinguer la prononciation fricative (molle) de la prononcication occlusive (dure) de la lettre 'g', et pour ce faire, bizarrement, la graphie alternative en 'e' citée plus tôt se généralisa.

Nous voici donc aujourd'hui avec bougea, mais plaça.

C'est ici qu'intervient à nouveau mon amie Cartésie, linguiste jusque dans la moëlle, suggérant qu'on généralise l'un (la cédille) ou l'autre (le 'e' diacritique) outil de distinction graphique aux deux cas, qui n'en forment, en dernière analyse, qu'un seul.

On suit toujours, là-bas, près du radiateur?

Ainsi bourĢon et manĢons donneraient le change à la série traditionnelle des -çon, enfin.

L'amie ajoute, car pourquoi s'arrêter en si bon chemin, qu'on pourrait simplifier la nomenclature des caractères touchés par le diacritique qui nous intéresse.

Pourquoi alitérer sur un C cédille, en effet, alors qu'on pourrait comprimer, pour parler du caractère affublé, en cédille tout court?

Du coup, le signe commensal lui-même se nomerait joliement dille, combinaison syllabique encore inexistante en français quoique tout à fait probable.

Et vous l'aurez compris, notre 'g' mou deviendrait alors... un gédille.
De l'espagnol gedilla, "petit gède".

Friande de création lexicale, j'ai cherché à savoir si un internaute y avait pensé avant moi.

Et bien entendu, on y a pensé.

lundi 23 novembre 2009

Prix citron - règle typographique




Prix citron: règle absurde, catégorie typographie

La lettre initiale d'un titre numéroté doit-elle être en italique, si le titre l'est?

Et peut-elle l'être, dans les autres cas?






Faut-il écrire:
a) Introduction
b) Développement
c) Conclusion

ou plutôt:

a) Introduction
b) Développement
c) Conclusion

réponse: au goût.

Les deux sont corrects, d'après La référence en typographie, l'ouvrage de Ramat (p.28). Par contre, la parenthèse, elle, doit être en romain dans tous les cas.

La mise en forme suivante serait donc hérétique:

a) Introduction
b) Développement
c) Conclusion

Subtil, non?

Comme quoi la typographie est un hobby d'enfileur de chas.

vendredi 20 novembre 2009

Des barbares et des oignons

Je n'investirai pas plus de temps dans ce commentaire que Patrick Lagacé ne le fit pour le sien.

Contexte: soubresaut orthographique de fin d'automne.

Le bloggueur ouvre les yeux, brutalement, sur un monde nouveau, un monde qui n'est plus le sien, insensiblement manipulé, ici et là, par les barbares de l'érosion linguistique, et constate avec horreur que désormais, même les ministères d'ici et de là-bas, diaboliquement appuyés par des ouvrages de référence trafiqués, complotent pour saboter le confort et la douce tiédeur de la chère orthographe de son enfance.

Coin de table pour coin de table, je lui réponds, mais rapidement!

* * *

PL: Le hic, évidemment, c’est que les enfants qui écrivent « ognon » ne l’écrivent probablement pas en se réclamant de la nouvelle orthographe.

PB: De fait, il est possible que cette graphie de leur main soit plus simplement le résultat de l'application de leur intelligence et de leur connaissance générale de l'écriture alphabétique.

Intuitivement, ils commencent à savoir que le son [o] en syllabe initiale ouverte des mots français issus de l'évolution phonologique lente et naturelle de la langue (par opposition aux emprunts tardifs du grec et du latin) a tendance à s'écrire 'o', et jamais 'oi'.

PL: On va tout simplement fermer les yeux sur un enfant qui « réussit » à écrire « ognon », sans même savoir qu’il peut l’écrire sans le i entre le o et le g.

Tu voulais écrire "avec le i entre le o et le g", sans doute?
Et sans doute "fermer les yeux sur le fait que"?

(Les barbares de l'érosion linguistique sont-ils à nos portes?
Je crois, pour ma part, qu'ils sont installés tranquillement à la table de la cuisine, et depuis toujours, narrant le vide, et que le crime anodin de leur absence de génie ne menace en rien l'intelligence humaine et ses produits.)

Brèfle.

Patrick Lagacé, quand tu écris "le français", j'espère que ce n'est pas en cédant à la facilité d'écrire la seconde voyelle du mot conformément aux règles orthographiques générales, mais bien en sachant que si tu as le droit, en fait la prescription, d'écrire "français" plutôt que "françois", c'est la conséquence d'une réforme qu'en 1835, la communauté linguistique a bien dû se résoudre à accepter, quoique tardivement.

PL: Absurde, évidemment.

Héhé, évidemment...

mardi 10 novembre 2009

Tintin, Georges Dor et moi



Plutôt par hasard, j'ai mis la main sur Colocs en stock, cet album de Tintin (originalement Coke en stock) "traduit" en québécois oralisant, qui a fait l'objet d'un savoureux billet de Délèque il y a quelques semaines. Je m'attendais à un truc affligeant, rédigé dans une langue fictive, grossière représentation des Québécois imaginée par un alloglosse des vieux pays, tant était dure la critique d'ici à l'égard de cet exercice.

J'ai pas aimé:

Il est vrai que le titre est ridicule.

Qu'un reporter de la mi-siècle-dernier s'exprimant en langue populaire (C'te zouve-là!) anéantit la crédibilité de l'histoire (ce que le titre avait déjà fait, de toutes façons).

Que la mise en graphie de certains phénomènes oraux (pas toujours exclusivement québécois d'ailleurs... les tournures françaises autochtones d'Amérique sont plus rares qu'on ne le croit) est aléatoire, limite incohérente (ex.: *quossez que (p. 1) mais quossé (p. 3)).

Ajoutons que tout au long du "texte", on confond "parler québécois" et "parler français familier" (C'est pas, et autres élisions courantes à l'oral).

J'ai aimé:

Pourtant, déformation académique de linguiste sans doute, j'ai apprécié la justesse et la richesse des expressions choisies par Yves Laberge (J'vous en passe un papier, Ne pas l'emporter en paradis, Patiner dins coins, Être sur la trotte, Arranger le portrait...).

La couverture des québécismes est astucieuse, généreuse, à un degré qui, je l'admets, fait sentir la "liste de mots à ploguer" par moment (connaissez-vous l'expression Ou c'est qu'on peut vous toucher? Moi non plus).

Mais on sent que la recherche a été menée avec sérieux, que l'auteur a réfléchi sur sa langue. Certaines observations sont subtiles, comme le relâchement des contraintes sémantiques sur l'objet de 'dire', dans Dire son adresse.

L'ensemble du lexique choisi contient peu d'anglicismes (Laberge nous fait une fleur, sur ce coup-là!) et de nombreux mots bien français aux consonnances poitevines.

Tintin et moi

Attention, je ne dis pas que j'ai dévoré cette bédé d'un couvert à l'autre, ni que sa lecture m'a provoqué des palpitations. Tintin, en wallon, en québécois comme en nain de jardin, c'est ennuyant à crever. Conçu pour faire voyager le garçonnet des années cinquante dans univers colonial réconfortant, l'eunuque belge a mal vieilli.

Et justement, soyons honnêtes, on ne lit pas Colocs en stock pour lire Coke en stock dans un dialecte plus intelligible, de même que l'album n'a pas été publié pour rendre accessible la haute culture belge à une horde d'allophones excentrés.

Cet album est un produit commercial, un sous-produit de la série des Tintin, qui fait le bonheur des collectionneurs, et éventuellement celui de quiconque est animé d'une certaine curiosité à l'égard d'usages français exotiques et méconnus.

Tintin pi toé

Seulement comme chaque fois qu'il est question des parlures d'ici, les critiques d'ici se montrent émotifs, et voilà pourquoi je reviens sur le sujet:

"Je trouve vraiment déplorable cette publication de Tintin en pseudo-québecois, qui fait encore une fois paraître le français d'ici comme étant une variété inférieure du français parlé[...]".

Pierre Calvé, "Colocs en stock: erreur boréale", Le Droit


Une variété inférieure

Encore!
Toujours la même histoire.

Français. Populaire. Joual. Ouvrier. Moué. Québec. Toué. Balbutiements. Barbares. Sous-hommes. Cracher par terre. Parler breton. Inférieurs.

Selon quels critères?

Bienvenue dans le champ sémantique inépuisable du mépris.

Quelle que soit la nature et la qualité du patois en question, la précision de son lexique, quel que soit l'intérêt de ses filiations linguistiques, le jugement porté sur ladite variété de langue est le reflet du jugement porté sur la communauté qui l'emploie, et pas autre chose.

Ce jugement d'infériorité porté par le pourtant linguiste auteur de cette critique signe un mol intérêt pour l'histoire de la langue et la richesse des lexiques français ainsi que son grand mépris pour les classes... "inférieures"; pour les parleurs ruraux, familiers, non-diplômés, ouvriers, qui osent colporter des archaïsmes taillés pour la rime riche tels que Amanchure, Champelure, Babine et Margoulette; tels que Bardasser, Crinquer et Embarquer; tels que Vlimeux, Jasant et Malcommode.

Cette erreur de raisonnement, qui entraîne tant de grandes gueules à confondre l'objet de leur "évaluation linguistique" avec l'objet humain de leur profond mépris, donnons-lui le nom du mépris fait homme: le georgedorisme.

Sans savoir toujours l'exprimer de façon nuancée, les Québécois sont vexés qu'on présente systématiquement leurs usages comme formant une variété exclusivement orale, se jouant dans les registres familier à vulgaire. Les critiques de Colocs en stock et de toute oeuvre écrite en langue orale du Québec sentent bien que les variétés de français québécois illustrées dans l'ouvrage ne sont pas celles des classes instruites de la population québécoise, et ce reflet collant de notre passé d'illetrisme et de soumission fait mal.

N'allez pas raisonner qu'à l'écrit et en registre formel, les différences entre français québécois et français-de-France sont trop minces pour illustrer quoi que ce soit de ludique, que nos Partagiciel et Écrivaine n'emplissent pas le bonnet du plus modeste phylactère. N'exposez pas à leur égo identitaire sensible que l'éloignement géographique et le changement de registre sont sources d'inépuisables amusements langagiers (pensez aux 150 petits chefs-d'oeuvre de San-Antonio), et que cela est universel.

Québécois, Québécoises, laissons donc nos homoglottes de là-bas se réjouir de notre différence, ou de celle de votre voisin, si vous préférez, et réjouissons-nous de même.

Avec un peu de confiance en soi, on en arrive à regarder tout ça un peu plus froidement; la langue vit, et heureusement, se diversifie encore, du moins à l'oral, et heureusement, pas encore trop à l'écrit.

Quoique.


mercredi 4 novembre 2009

Dix bonnes raisons et deux néologismes

"Le gouvernement [français] "enrichit" le français de deux néologismes", L'Express, 4 novembre 2009

Au fil des joutes entre l'opposition et le gouvernement, mais aussi des querelles de la majorité, la langue française s'est enrichie en deux jours de deux néologismes: "imprivatisable" et "inénervable".

Dix excellentes raisons pour inventer un mot

... quitte, parfois, à fonder le néologisme sur un emprunt...
... quitte à ce que cet emprunt soit prélevé chez une langue concurrente...
... quitte à ce que cette langue concurrente soit politiquement dominante...

1. Parce qu'il n'existe aucun mot de sens équivalent en français.

2. Pour exprimer un peu d'affection à la morphologie dérivationnelle.

3. Pour choquer Denise Bombardier et Georges d'or.

4. Pour enrichir un ensemble de synonymes.

5. Pour rigoler.

6. Pour exprimer en un seul mot ce qu'on exprimait avant en plusieurs.

7. Pour exploiter un suffixe folichon: -ure, -ette, -olle, -oche...

8. Pour la rime.

9. Pour confondre ses adversaires.

10. Parce que personne à table n'a trouvé le mot juste.


Et une pour la chance:

11. Pour affubler le composé latin d'un doublon grec.