mardi 28 septembre 2010

Rentrée langagière: bêtisier


Septembre. Au mois 1 du cycle annuel de ce que nos médias se plaisent à appeler les «débats sur la langue», lecteurs et chroniqueurs (surtout lecteurs, finalement) sʼéclatent sur les périphéries de lʼactualité aux quatre coins du Web francophone. Rebelote pour les lieux communs, donc. Qui déplore un «phénomène inquiétant», tombant des nues; qui sʼextasie sur la beauté de sa langue. La rengaine. Mais quelques trouvailles aussi, rafraîchissantes.

Mes préférées:

«La maitrise de l’orthographe est devenue un fléau chez les jeunes mais aussi dans le monde professionnel.»
(GazetteInfo, 28 septembre 2010, Dijon)

Un fléau bien timide encore, dʼaprès Le Faso:

«Depuis quelques années, nous assistons à un phénomène inquiétant: celui de la baisse du niveau de maîtrise de la langue française.»
(Le Faso, 3 septembre, Ouagadougou)


(Cʼest ça, quʼelle voulait dire, lʼobscure Gazette de Dijon, au début?)

Fine analyse. Mais encore:

«Tout cela parce que, quelque part, tout ce qui relève de la langue et de la littérature, [sic] est considéré comme l’apanage des gens moins intelligents, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas capables de faire les maths, la physique, etc. Aucun effort n’est pratiquement fourni par les usagers du français, pour améliorer leur maniement de la langue.»
(Idem)

Vexant, non?

Chez les excellents et toujours pertinents correcteurs du Monde, on se permet aussi lʼhypothèse farfelue:

«Curieuse évolution, que l’on pourrait qualifier d’"accord pluriel de proximité", qui voit le verbe, normalement au singulier, se chercher un sujet fantaisiste plus proche que le sien propre, du moment qu’il est au pluriel. Un autre symptôme de cette inflation du pluriel que l’on constate partout.»
(Langue Sauce piquante, Juillet 2010)

Là, je soupçonne lʼironie. On taquine gentiment les rédacteurs pressés qui massacrent lʼorthographe grammaticale: cʼest de bonne guerre! «Accord de proximité»... Désignation flatteuse pour le résultat dʼune absence dʼanalyse grammaticale, comme si lʼon souhaitait attribuer à lʼauteur de la faute une certaine rationalité dans ce petit crime.

Plus insensibles à lʼhumour sont parfois les lecteurs. Ici, Dimitri Boisdet sʼalarme des «constats» précédents:

«Agissons plutôt quand il le faut, comme face à des évolutions grossières parmi lesquelles cette tendance nouvelle à ne plus accorder le verbe avec son sujet, pourtant b-a ba de la grammaire.»
(LeMonde.fr, Chronique dʼabonnés,
«La langue française en danger?», 12 septembre 2010)

Et platement confond, comme vous surement, le français et son orthographe; cet improbable et malheureux système de rustines graphiques (accompagné de son corrollaire, la Faute) mis en place à la va-comme-je-te-pousse pour les mauvaises raisons, dénaturant ainsi le système dʼécriture alphabétique quasi-universel qui était, à lʼorigine, celui du français.

«Dʼautres — intellectuels, linguistes, écrivains — prônent une simplification du français.»
(Idem)


Nʼimporte quoi, je vous dis.

À lʼopposé, pour une dose dʼhumour, de finesse et dʼintelligence, offrez-vous de temps en temps les observations hilarantes et commentaires de lecture de Benoît Melançon sur lʼOreille tendue; les chroniques linguistiques fouillées de Jacques Desrosiers, du BTB; les discussions linguistiques souvent de haut calibre du forum lʼABC de la langue française ou, pour la grande aventure, le voyage intérieur fascinant de Mario Périard, le Don Quichotte de lʼorthographe, sur Ortograf.net.

jeudi 9 septembre 2010

Photoshoppez ce cigare que je ne saurais voir

Le cigare de Fidel, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé?







Vous allez voir, je pars de loin, mais vous allez comprendre.

Petit a) : Y a un bout de temps déjà (le lien date de juin), débat, ire, manifs, chemises déchirées, et même un mec qui a tenté de sacrifier un poulet (le poulet a gagné). La raison : on osa modifier une photo historique de Churchill – bon, je sais pas pourquoi, j’ai pas lu l’article*, mais on a fait disparaître le cigare.

http://www.dailymail.co.uk/news/article-1286620/Churchill-non-smoker-How-todays-PC-censors-airbrushed-cigar.html

Ce qui est drôle, parce qu’il y a eu un autre chef d’État à qui on a reproché lourdement d’avoir fait disparaître les siens à l’intérieur d’un endroit jugé inapproprié (il avait pas photoshop, alors il a demandé à son assistante, qui a pris la chose en, euh, mains**). Mais on s’écarte.

Petit b) : En jasant langue, on m’a fait observer que le mot frugal n’avait pas le sens que je lui prêtais : je pensais qu’il était péjoratif, signifiait ‘peu, en quantité insuffisante’, et qu’un repas frugal n’était pris que par des moines qui se mortifient, des adeptes de famine, peste et autres pestiletielleries, et par Astérix chez les Bretons (« ça est frugal!?!?! »). J’errai, qu’on me dit, et on me fit observer que le sens propre est ‘simple, peu abondant’ (mais pas nécessairement ‘insuffisant’).

Vous me connaissez : ma mauvaise foi à la main, j’entreprends de justifier que cette méprise est la faute de la société, pas la mienne, que je ne suis que le jouet de mes sens abusés, qui s’attache à notre âme et la force d’aimer, et tout le saint-frusquin. Puis, voyant mes interloqués interlocuteurs arquer le sourcil en une pirouette qui signifie « tu frimes, Délèque », j’ai prétexté un sanglier sur le feu pour me pousser en douce.

Mais mine de rien, j’ai cogité. Et je me suis dit que j’ai eu un réflexe typiquement gros consommateur nord-américain qui vit dans l’abondance, qui surabuse de tout, qui te fait une empreinte carbone grosse comme ça et qui me te vous laisse rouler le moteur de son Hummer devant l’Institut des Orphelins Aveugles Ambylopes et Néanmoins Daltoniens qui ont Perdu leur Ti-chat Violemment Allergiques au Monoxyde de Carbone. Bref, qui a peut-être, sous l’influence de son environnement disons « culturel », inconsciemment modifié son vocabulaire selon sa perception de la réalité. Environnement de consommation et de crainte constante de manquer d’écarteurs d’orteils Hello Kitty = démonisation de toute idée évoquant le manque, le peu, le n’a pus.

Allez, on y est presque, pour ceux qui pensent encore au cigare.

Idée saugrenue qui m’apparut alors : si j’étais pas le seul? Si, « culturellement », on décidait, comme le cigare, de gommer les imperfections non seulement des photos, mais de, genre, lol, on rigole, là, mais de la littérature***? Si Cosette, on décidait qu’elle était en restructuration à cause de la dévaluation de ses titres adossés à du papier commercial? Qu’on ajoute à la biographie (ou la page wiki, tiens) de Gandhi qu’il était commandité par Mcdo? Que Raskolnikov, au lieu de dégommer la vieille, entame des négociations pour un assouplissement de la politique de la banque centrale? Que Job prie pour que le veto sur l’accord de libre-échange en Judée passe?

Je m’amuse, là, mais je pose la question quand même : l’environnement économico-culturel finira-t-il par rétro-interpréter et plurisémantiquer la logique métalangagière?

...quelqu’un a de l’aspirine?
______

*Vous pouvez le faire, vous, le simple fait que vous lisassiez ces lignes semble un bon indicateur du fait que vous avez à la fois une soif de culture débordante et une quantité appréciable de temps pour le faire, et je dis ça comme un compliment, sans jugement aucun, allez.

** Oui, on a décidé à ML de faire dans le salace, ça booste l’audimat.

***Je suis également dans une vache de période orwellio-huxleytoise (huxleyienne? huxleyesque?).