lundi 7 décembre 2009

Hé Jug, file-moi le tarpé


Texte sur la bd et la traduction que quand on a trouvé un titre spirituel
et recherché on est content mais là ça vient pas, zut de zut

En parlant de Colocs en stock publié précédemment, on m’a instamment (et, oui, avouons-le, en usant de chantage) demandé de vous parler de deux de mes dadas, et de la fusion d’iceux, c’est-à-dire la traduction et la BD. Outre l’étalage éhonté de mes capacités mnémoniques, le présent blog a surtout pour but de mettre un baume sur ces moments de notre enfance à nous tous, ces instants magiques où, assis, vautrés, indolents, fût-ce sur un canapé (genre sofa, pas craquelin paris-pâté/olive), un lit, un pédalo ou un trivial bidet, nous nous régalâmes des aventures de Betty et Veronica et d’Archie Andrews et son mode de vie plutôt polygame, et que soudainement, paf, une faute d’orthographe, infâme, ou une tournure mal foutue, la salope, ou autre maladresse d’écriture ou de traduction, scrogneugneu, fichait le gag en l’air, brisait le rêve, nous laissait nus, seuls dans le froid d’un monde pourri, torve, déliquescent et cacateux.

Je m’emporte.

Enfin, je vous parle des joies, défis et nombreux pièges de traduire la BD. Ben je vous propose, hein, sinon, y a plein d’autres choses à voir, Internet regorge de vidéos de singes qui se grattent le derrière ou d’éléphants qui accouchent live (authentique). Comme ça, les pauvres gens de chez Éditions Héritage et leurs traductions foireuses (« Formid! Sympa! Hé Jug, on se roule un tarpé? ») seront à demi pardonnés… ou non.

Parce que vous, lecteurs de bd étrangère même pas écrite dans notre langue, vous pensez que traduire ça se fait en soufflant dessus ou en babelfishant? Que non! Y a des degrés de difficulté insoupçonnés. Le premier : la taille du phylactère. Vous avez déjà traduit du PowerPoint? Un tableau Excel? Dans une combinaison de langues où la langue d’arrivée est fichtrement plus longue que celle de départ? Sacrant, vous dites? Pas le droit de mettre tout en police 3 points! Et quand vous devez rendre « Cool » dans une bulle de ¼ de pouce carré et que ça donne « Supertittenaffengeiltopcool, Mann »? Faut tricher, improviser, sans rien perdre dans le transfert (oui bon « cool » c’est universel, c’était qu’un exemple, là), et on peut pas vraiment faire de la compensation comme en traduction littéraire (c.-à-d. changer une tournure ou une figure de style plus loin dans le texte) : le phylactère est immédiat, présent, instantané, et ça réduit l’éventail de solutions.

Parlant d’immédiatateté*, autre contrainte : les petits dessins, là, les p’tits Mickeys, ben ils bougent. Bon, en fait, ils signifient le mouvement. Et avec le caractère immédiat de la bédé, les personnages, ils ont pas le choix, ils joignent toujours le geste et la parole – ils obéissent au dessinateur qui, manque de pot, est la plupart du temps, lui aussi locuteur de cette langue de départ imbécile qui a la fâcheuse tendance à ne pas être le français. « Ben là pas grave, pfff », unisonnez-vous. Ah oui? Les Malais, ils font oui de la tête comme nous, on fait non, c.-à-d. qu’ils opinent pour refuser. Le « ok » américain, joindre le pouce et l’index en laissant les trois autres doigts en éventail, geste positif et plein de joie, signifie un gros zéro et son corollaire, « pôv’ con », dans certaines parties d’Europe. Tous ces petits drôles de faits, mis ensemble, contribuent à causer moult emmerdes et aident pas à la satisfaction de délais avec tout ça non mais.

Autre raison de se péter la tête sur son clavier en dressant à très haute voix les accessoires d’un prêtre?

Mise en situation : Deux personnages font du patin à roulettes. Le patin de l’un grince, l’autre dit : achète une autre paire. L’autre : je suis trop grigou.

Outre le mot « grigou » qui a défrisé le plus calvicieux d’entre nous, cette discussion entre mecs à patins à roulettes est tellement anodine qu’on s’en contre-torcherait allègrement le nombril avec le pinceau de l’indifférence, et ce, avec l’énergie du désespoir. Mais un rapide coup d’œil sur la v.o.a. nous indique un incroyable jeu de mots du second personnage : « I’m a cheap skate! ». Skate, patin. À roulette. Cheap, ben cheap, quoi. Lol, l’eaule, l’haut-le. Pété des R, nous sommes. Mais comment, bordel, traduire l’intraduisible dans ces conditions? C’est la que le bât fesse. Pas de place pour expliciter, pas d’esquive à cause de l’image, et l’expression idiomatique/calembour choit comme une vieille chaussette deçà, delà pareil à la feuille morte. Dure loi de la jungle, et je vous avoue que lire de la bédé traduite, je suis pas capable, je lis et transpose en même temps en cherchant la blague ou la tournure originelle. Faiche.

Dernier point, pas du sujet, vous allez m’en trouver plein, petits canaillous, mais dernier que moi je dis, là, là : l’aspect « localisation ». Il ressemble à la difficulté précédente (jeu de mots), mais selon l’aspect culturel de la langue d’arrivée par rapport à la langue de départ. Pasque Internet et Twitter ont pas encore uniformisé le monde, il reste des contrées reculées, primitives et infestées de tous-nus qui – ô stupeur – ignorent les idées telles « lol », « Wal-mart » et « Doritos ». Je sais. Et en plus, ces peuplades barbares s’attachent à des concepts non-fondés affublés de l’amusant terme « histoire » et des mythes soi-disant « fondateurs ». Alors, à cause de principe du révélateur culturel, les aventures de Green Lantern, personnage arborant le justaucorps émeraude, prend une teinte assez intense en certains endroits, genre en territoire palestinien, où le vert a une importance toute spéciale (googlez-le, pas de raison que je me tape tout le travail ici, merdre). Et Wonder-Woman chez les Talibans, euh, comment dire…pas super évident.
D’aucuns me diront que ces cas n’ont pas d’importance, puisque aucun éditeur ne s’essaierait à publier dans de tels cas-limites. D’autres de ces aucuns, plus cons, diront que de toute façon ces tenants d’un folklore rétrograde ne savent pas lire anéwé. Nous tairons ces xénophobes, et je leur dis qu’il n’y a pas de petit profit, et que de toutes façons, un jour tout le monde connaîtra les péripéties de Bob et Bobette, qu’ils le veuillent ou non. Cependant, pour le traducteur, à part amenuiser l’incidence d’une phrase culturellement non-recevable, et espérer que le personnage ne fera aucun geste ni n’arborera une couleur risquée pour son lectorat, y a pas grand-chose d’autre à faire. Après tout, caveat emptor, les locuteurs auront le choix d’acheter la bédé ou non, le traducteur traduit, rend le sens (ou le non-), fait de son mieux pour transférer l’émotion et les mécanismes linguistiques avec les moyens qu’il a. Et puis, même si la version traduite « sent » la traduction, ça donne un petit kick au lecteur et lui permet de comprendre une réalité étrangère à la sienne, ou, à tout le moins, un indice que des gens vivent, lisent, rient et bédéent d’une façon autre – mais pas mauvaise.

*Oui, je sais. C’est voulu. Z’avez pas remarqué que j’avais mis cette phrase en Verdana (Sarcastic)?

3 commentaires:

  1. Cher Délèque, êtes-vous tenu de dévoiler à tous les coups, et dès l'intro encore, que vous travaillez sur commande?!

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  2. Je ne m'étais jamais demandé quels efforts devaient fournir les traducteurs ! Et c'est vrai qu'il y a un paramètre en plus avec la bd!

    Il faut dire que la bédé, de toute façon, c'est belge !
    Et même s'ils font beaucoup plus d'allusions à la bière, et largement plus de blagues plus que douteuses... Ils parlent (presque) français... !

    Et les autres que nous ? Ils n'existent pas. Moi, française, résidant en Suisse, je vous le dis : le centre du monde, c'est nous !

    ;) à part ça, je me suis bien marrée à lire ce texte.

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  3. En France, les jeunes se sont mis à aduler les mangas japonais. Et comme le japonais n'est quand même pas une langue évidente a priori, on traduit ces BD à la va comme je te pousse, et la compréhension de l'histoire, souvent rendue sibylline par une narration graphique pas du tout logique aux esprits occidentaux, devient alors là totalement incompréhensible et franchement surréaliste. Restent les dessins, me direz-vous. Oui, mais là, les conventions graphiques des mangakas me dépassent. Ces personnages aux bouches minuscules, aux yeux hypertrophiés et aux nez pointus souvent sans narines, je les trouve hideux,surtout quand, sous couvert d'humour, on fait des sortes de caricatures aux expressions exagérées à tel point qu'elles feraient presque peur... Question, les Japonais viennent-ils de la Terre, au départ ? tellement leur façon de voir les choses est particulière qu'on peut se le demander ! Bref, traduire des histoires graphiques pareilles doit relever du grand art, mais les rendre compréhensibles, ça, c'est une autre paire de manches !
    Amicalement, Tinky :-D

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