jeudi 31 décembre 2009

Pallier à




Comme on le sait, l'emploi transitif indirect du verbe pallier, quoique quasi généralisé, est encore jugé fautif par les grammairiens et les dictionnaires:

Hanse:
voici: Pallier est proprement un v. trans. direct

GDT:
Contrairement à l'usage quasi général, le verbe pallier se construit directement avec son complément.

etc.

Ce nouveau régime de pallier s'est probablement imposé par analogie avec remédier à, dont il a fini par copier le sens, ou encore avec le nom correspondant palliatif (à).

Quoi qu'il en soit, la forme fautive pallier à se présente souvent dans le cadre du nouveau sens « remédier à (qqch) », lui-même longtemps jugé fautif par les grammairiens. Le verbe pallier, qui signifie à l'origine « couvrir d'un manteau » (du latin palliare), a longtemps eu pour sens principal « dissimuler (une faute, une faiblesse) ».

Tout ça pour dire qu'en page 159 de l'excellente Histoire de la langue française d'Albert Dauzat (1930), éminent linguiste du tournant du siècle dernier, on peut lire:

Les composés gréco-latins offrent un autre avantage d'une portée innapréciable: ils sont pour la plupart ou deviennent rapidement internationaux, palliant ainsi au morcellement des langues et créant un fonds commun, de plus en plus vaste, de langage cosmopolite.

Vulgarisme étonnant d'un érudit de la langue ou parti pris de progressisme sémantique?

D'après le ton général de l'ouvrage, j'opterais pour la seconde explication.

10 commentaires:

  1. Or ainsi donc, encore la preuve que l'oralité a le pouvoir de sculpter l'écrit.

    Nous sommes perdus.

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  2. Délèque, insinuerais-tu que l'écrit ne nous vient pas du Ciel?

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  3. Que nenni! Pensons à Moïse sur le mont Sinaï et les fâmeuses tablettes de lois.

    D'ailleurs, si les tablettes de loi écrites par Dieu lui-même avaient une typo...qui aurait le guts d'aller Le/La/L' lui dire?

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  4. Laisse L' en dehors de ça!

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  5. Le problème étant que quand j'ai envoyé un mail avec cette erreur grossière, me rendant compte de mon affreux manquement de culture linguistique, ma notaire n'a sans doute pas pris ça pour du progressisme, sans doute pour du manque d'éducation.
    Depuis je m'entraine sans arrêt à l'employer à contre-courant. "pallier CE problème, pallier ceci !!"

    Mais je penserai à citer Albert Dauzat lors d'une prochaine entrevue, si ça se trouve hein...

    Argh. Le tout est d'avoir le choix, c'est comme le sms. User de cette écriture sauvage par facilité, par esprit pratique, souci économique (ben oui les sms quoi) ou par manque de choix, parce qu'on ne sait plus écrire et s'adapter autrement;...
    User de pallier A par manque de connaissance ou par provocation...

    Tiens, et quid de malgré que les zamis ??
    Oui parce que d'après mes connaissances, malgré que, non admis de façon usuelle ni dans l'écrit ni dans l'oral a pourtant été utilisé plusieurs fois par des écrivains. Alors quoi, les académiciens seraient-ils en panne pour cette expression précise ??
    J'aimerais des explications !

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  6. Pour pallier l'angoisse métaphysique générée par vos interrogations, je dirais que le "mal-parler" ambiant est inhérent à un manque de culture de plus en plus vaste et affligeant. L'apprentissage (?) de la lecture et de l'écriture par le biais de la méthode dite globale y est hélas pour beaucoup, et moi, qui suis dyslexique à la base, heureusement, j'ai été prise en main par une institutrice totalement réfractaire à cette méthode, et j'ai appris le b, a, ba, et ça m'a bien aidée à débrouiller, dans ma petite cervelle, ces signes mystérieux que sont les lettres. Quant à la malencontreuse expression "malgré que", elle est hélas la conséquence d'une confusion avec l'expression "bien que", et pour corriger cette erreur là, il y a du travail... Et quid des ignares parlant d'une tentacule et d'un espèce, ou prononçant gageure comme "gajeure", alors qu'il faut, bel et bien, prononcer "gajure"... Car gageure rime avec parjure, n'en déplaise aux fâcheux ! Seulement, voilà, avec le nivelage par le bas que nous vivions actuellement, et malgré les récriminations des vieilles gens ou des puristes enragés de mon acabit, le "mal-parler" progresse, et j'ai parfois l'impression de débarquer de la planète Mars, face à l'incompréhension de mes interlocuteurs incapables, bien souvent, de saisir le sens de mes propos généralement formulés en un français que je pense simplement correct ! Je me vois pourtant très mal beugler l'espèce de sabir incompréhensible parlé actuellement dans nos banlieues française, car c'est une vraie honte ! Mais bon... Les choses évoluent, la langue aussi, et il faudra bien, hélas, en passer par là. Mais ce qui me ravit avec les Québécois, c'est qu'ils ont su conserver, en dépit de toute l'adversité anglophone, le beau français de jadis, celui des grands siècles de cette belle langue, et qu'ils le parlent encore comme nous, aux dis-sept, dix-huit et dix-neuvièmes siècles, alors que la langue, dans le pays d'origine, s'abâtardit éhontément de tournures pour le moins disgracieuses et contestables ! Je finirai par émigrer chez vous !
    A part cela, bons baisers de Paris, de la part d'une Française d'origine bigourdane - de la Bigorre, un morceau du Béarn et de la Gascogne, pour une part, et basque, pour une autre ! Question accent, je suis bien lotie, certes, mais je pense m'exprimer dans un français pour le moins correct !
    Amicalement, Tinky, qui se régale à lire ce carnet qui est jouissif !

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  7. Salut Tinky !

    Je ne voulais pas seulement insister sur l'erreur courante et disgracieuse de "malgré que", mais sur le caractère immuable des livres des académiciens. Il me semblait qu'une des règles pour qu'une expression soit utilisée/autorisée était - entre autres - l'emploi de la part de "grands auteurs".
    Peut-être ai-je mal compris, ce pourquoi je demandais à la linguiste Pélagie ce qu'elle en sait, et ce qu'elle pense de l'usage abusif de "malgré que".

    Abusif ? Je ne suis justement pas sûre, car en fait, nombre d'écrivains (dont vous sous-entendez un manque de culture plus haut, donc) l'ont employé, et je suis certaine - comme pour le "pallier à" auquel Pélagie fait référence plus haut - qu'il s'agissait là d'un emploi totalement conscient, chargé de faire évoluer la langue, ou du moins, ses règles rigides académiciennes.

    Gide n'était pourtant pas une victime de la méthode globale ?!! ;)

    Au plaisir de votre réponse.

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  8. Chères Cyb et Tinky,

    Malgré que par habitude, je préfère personnellement l'usage de "malgré le fait que" à celui de "malgré que", sachez que les analystes du bon usage que sont Grevisse, Goose et Hanse sont plus ouverts à l'évolution de l'usage que certains profanes nostalgiques de "la façon de parler de la plus saine partie de la Cour".

    Hanse, à propos de "malgré que" (Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1987):

    "Malgré que, loc. conj., est condamné avec obstination par les puristes mais est incontestablement correct au sens de "bien que", et est suivi du subjonctif."

    Grevisse et Gosse, dans rien de moins que "Le bon usage" (Duculot, 1975):
    au sens de "bien que", "quoique", est proscrit par Littré, par Faguet, par Ab. Hermant et par les puristes. Cette locution, très fréquente dans la langue familière, pénètre de plus en plus dans l'usage littéraire: ([suivent les citations de Sand, Daudet, Barrès et nombre d'autres...]).

    À vous de voir, en dernière analyse, quels mots vous souhaitez proscrire de votre vocabulaire, et surtout, pour quelles raisons.

    Mine de rien, à cet égard, vous êtes libres!

    Amicalement,

    Pélagie

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  9. Bah, en résumé, quoi qu'on dise et fasse, le français sera toujours un casse-tête chinois, puisque même les auteurs de dictionnaires et les écrivains ne sont pas d'accord entre eux ! Comment diable un étranger apprenant cette langue somptueuse mais difficile peut-il s'y retrouver, puisque les locuteurs eux-mêmes sont partagés sur le sujet ? Bien. Eh bien en conclusion, j'utiliserai "bien que" à la place de "malgré que" qui ne me plaît guère, car je le trouve lourd et laid ! Me voilà donc cantonnée au rang des irréductibles Gaulois, mais je ne suis pas à cela près !
    A bientôt !
    Tinky :-D

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  10. Chère Tinky,

    Je pense au contraire que ces discussions raisonnées sur des usages ponctuels ne nuisent en rien à l'apprentissage du français langue étrangère, langue dont la base est solidement documentée et très largement enseignée dans le monde.

    Et même je croirais que ces petits débats de spécialistes illustrent justement ce j'écrivais plus tôt, à savoir qu'heureusement, il existe dans l'usage de la langue, la française comme les autres, un espace de liberté. Donc un espace pour exercer son intelligence!

    :)

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