jeudi 31 décembre 2009

Pallier à




Comme on le sait, l'emploi transitif indirect du verbe pallier, quoique quasi généralisé, est encore jugé fautif par les grammairiens et les dictionnaires:

Hanse:
voici: Pallier est proprement un v. trans. direct

GDT:
Contrairement à l'usage quasi général, le verbe pallier se construit directement avec son complément.

etc.

Ce nouveau régime de pallier s'est probablement imposé par analogie avec remédier à, dont il a fini par copier le sens, ou encore avec le nom correspondant palliatif (à).

Quoi qu'il en soit, la forme fautive pallier à se présente souvent dans le cadre du nouveau sens « remédier à (qqch) », lui-même longtemps jugé fautif par les grammairiens. Le verbe pallier, qui signifie à l'origine « couvrir d'un manteau » (du latin palliare), a longtemps eu pour sens principal « dissimuler (une faute, une faiblesse) ».

Tout ça pour dire qu'en page 159 de l'excellente Histoire de la langue française d'Albert Dauzat (1930), éminent linguiste du tournant du siècle dernier, on peut lire:

Les composés gréco-latins offrent un autre avantage d'une portée innapréciable: ils sont pour la plupart ou deviennent rapidement internationaux, palliant ainsi au morcellement des langues et créant un fonds commun, de plus en plus vaste, de langage cosmopolite.

Vulgarisme étonnant d'un érudit de la langue ou parti pris de progressisme sémantique?

D'après le ton général de l'ouvrage, j'opterais pour la seconde explication.

jeudi 24 décembre 2009

L'adverbiage


Si on m’a demandé ou non d’écrire en cet après-midi d’hui, vous ne le saurez jamais, mais toujours est-il (quelle tournure moche, je sais, et vlan, déjà la parenthèse, je re-sais) qu’une injustice m’inique tarabustement, et que l’exercice étalé éhontemment sous vous zieux (ou horizontalément, j’imagine que l’écran d’ordi où se prélasse sans-gênement ce blog est situé vis-à-vis de vos mirettes et non bassement sur un bureau comme un vil papelard qui antédiluve tellement que vous nauséeriez rien que d’y penser) a pour but de rétablir, un peu, l’ordre dans ce bazar.

Je vous laisse lire la phrase précédente pour que vous déparenthèsassiez tout le machin, allez-y, c’est offert gratossement*. Sauf si votre Web est payé à l’heure.

« Quid, ubi, orbi? » à-juste-proposez-vous dekossément. Quelle injustice? Quelle est la cause qui croise-et-bannièrise le toujours neutre (autant politiquement que pHment) Délèque? À quel propos polémisera ce sondeur de l’abîme insondable, ce chercheur de creux, ce vertigineux du vide? La (réfaurme?/rayfhôrmme?/rhêffeaurrmhe?) remanipulation orthographique? Les dérivations parasynthétiques des populations du Gujarat du Nord? Les épithètes en hypallage des babelfisheux? Que nennis-je, du haut de ma superbe commeunseulhommemément. Le but (enfin on verra, hein, je bloggue sans manu- ou tapuscrit) de cette missive a pour but de rallier la communauté webbesque et de l’allonzenfants-delapatrier vers une cause noble, pure, chouette, qui se résume en la question suivante, que je niunenideusse tacautaquement :

Ça vous enquiquine pas, vous, le fait que y a des mots, on peut faire un adverbe, ou un verbe, avec, et des mots, non? Ah-haaaaa, je vois à votre silence béebouché et votre regard impassibilisé que je te vous me te touche la corde sensible. Quant à ceux se sont déturgescés en ayant le vague sentiment que j’ai over-suspensé dans l’intro par rapport au sujet, ben vous avez pas fini d’être déçus, et honnêtement, que faites-vous encore sur ce blog d’ailleurs, y a des gens qui travaillent ici.

Non mais oui mais je sais, y a des mots qui se transposent pas, y a l’euphonie, l’usage, le saint-frusquiniage divers…mais avouez que le français, par rapport à l’anglais, souffre sa race dans un univers néologisant où le markettinge, les buzzwords, l’imââââge sur le sens et la substance sont à l’avant-plan. Sans parler de la techno, qui va plus vite que l’OQLF (vous avez utilisé un cédérom récemment, vous? Et puis des CD, c’est tellement nineties). Avantage : les Anglois, leur gérondifs, leur air cool cheveux au vent, leur franche dédaignation de la structure, et ce, malgré la malchance qu’ils ont de pas assurer le maintien d’institutions rigidissimes qui datent de Louis the XIV. Pas étonnant que le gérondif se propage comme-une-trainée-de-poudrément dans notre belle langue, que le français s’anglosaxonne et que la rigidité envers la néologisation (voyez, même ça c’est un néologisme, y a du chemin à faire) demeure un obstacle qui, à mon fort humble avis, tétanise la pensée, délimite la sémantique, cacate l’évolution.

Tant que de nouvelles réalités et de nouveaux concepts apparaîtront, l’humaine et son fiancé auront besoin de petites étiquettes pour les nommer, les figer, les apprivoiser mentalement et passer à autre chose, tiens. Donc mots. Et il est humain de parler de ces réalités. Donc phraséologie, langage, et cæterations diverses. Mais entre le « terrain » (ce que certains osent nommer la « vie », et que d’autres, plus évolués, nomment l’IRL (in real life, vu que y en a que c’est surtout virtuellement qu’ils ont une vie, eh ben y a fallu inventer l’IRL pour différencier) et la documentation, l’écart tend à s’élargir; les dicos, traités et autres grevissants ouvrages peinent de plus en plus à rattraper les smsophiles et autres l33ts…

Et puis, ça vous est jamais arrivé, vous, d’être en société (charmante ou baillementogène), de faire état de votre état de personne-qui-travaille-dans-la-langue (« Ah? Et vous en vivez? ») et de vouloir dire quelque chose de spirituel (c’est votre 3e mojito, disons) en diatribant contre le fait qu’on puisse pas lâcher spontanément un grasseyant et jouissif néologisme, qui vous éviterait de circonlocutionner et d’autourdupotgyrer inutilement?

Moi, oui. D’où, blog.




*Oui, offert, ca veut dire gratuit. Oui, pléonasme, bravo, 50 points. Mais j’ai pas d’autre endroit où mettre gratossement. Sauf à la fin de la phrase précédente, mais bon, ça marche pas plus sans le premier gratossement (et du coup on se retrouve avec 3 gratossement**).

**En fait, 4 (bien vu, au fond)

***Eh ben oui, c’est pas aujourd’hui que Délèque va faire un post sans astérixer, et je suis le premier à le déplorer : mise-en-pager, j’vous dis pas. Surtout que le « *** » est orphelin, le cherchez pas dans le texte. Et le « ** » aussi, d'ailleurs.

mercredi 23 décembre 2009

Méduses et temps vétustes




À l'issue de l'échange de cadeaux chinois, cette fois, plutôt qu'une tirelire en plastique, c'est un roman tout neuf et tourné à l'imprfait du subjonctif qui m'échut.

Dans Méduses (troisième roman je crois), Antoine Bréa exhume fort habilement ces conjugaisons qu'on croyait mortes ou, à tout le moins, oubliées des auteurs nés postérieurement à l'invention de la machine à vapeur.

Il était temps qu'on s'y colle!

J’appréciais modérément qu’elle me trouvât, soulignait-elle, pour elle qui revenait de loin, «exotique». L’intéressée était beurrée, sentait la tise montée sur des moulins à vent. C’était agaçant et je ne prisais pas des masses que l’on me traitât comme un aborigène, que l’intéressée me parlât comme à un Antillais.
(p. 75)

mardi 15 décembre 2009

Panthéonade

« Le but de la panthéonade, selon le néologisme ironique de Régis Debray, est de rendre hommage à une personnalité de nationalité française dont l’œuvre et la vie ont marqué l’histoire. Cette tradition est aussi un moyen, pour le pouvoir en place, de mettre en valeur une période de l’histoire et d’y graver son empreinte. L’ancien président, Jacques Chirac, avait organisé l’entrée au Panthéon des écrivains André Malraux (1996) et Alexandre Dumas (2002). Si la décision se confirme, Albert Camus pourrait bien rejoindre Voltaire, Rousseau, Jean Moulin, Pierre et Marie Curie ou encore Victor Hugo qui y reposent. »

« Albert Camus au Panthéon? », lepoint.fr, 19 novembre 2009

Résultats de recherche avec panthéonade sur un moteur bien connu :

900 résultats environ, principalement des blogues intellos (dont un féministe), des forums de la même étoffe (dont l’un des participants a répondu par panthéacourt, sa propre création, hermétique, inpigeable, et qui ne génère que deux résultats sur G).

samedi 12 décembre 2009

Désaccords chez les participes passés

Pierre Foglia écrit ceci dans la Presse du 10 décembre 2009 :

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Cet exercice sur les anglicismes est proposé aux élèves du primaire de la commission scolaire Marie-Victorin (Rive-Sud).

Trouve le bon mot : Caroline a eu (du fun, du plaisir)...

Notez au passage le degré de difficulté. Mais bon, ce n'est pas pour ça que je ronchonne. C'est pour les deux questions suivantes :

Tu as (checker, vérifier) le mot dans le dictionnaire.

Le directeur a (annulée, cancellée) la soirée de danse.

Ce qu'il y a de gênant, ici, n'est pas que des fautes aussi grossières aient pu se glisser dans un devoir scolaire. Ce qu'il y a de gênant, c'est que pas un directeur d'école de cette commission scolaire, pas une enseignante - en supposant qu'ils et elles sachent encore accorder les participes passés et les différencier des infinitifs - que pas un, disais-je, ne se soit fait entendre assez fort pour qu'on retire ce matériel «pédagogique» de la circulation.

Quant aux parents, n'en parlons pas. Sauf celui qui m'a alerté, je suppose qu'ils sont tous très occupés dans le comité de l'arbre de Noël. On les remercie de leur engagement.

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Je me scandalise avec vous, parents et journalistes, du fait que certains professeurs n'ont pas la rigueur d'appliquer une norme (celle de l'accord des participes passés) à laquelle ils astreignent (et on se demande bien comment) leurs élèves.

Rendre les participes passés invariables en français?

Toutefois, il existe une tendance, chez les professionnels de la langue qui ont le privilège de faire partie de mon entourage dont vous devinez certainement qu'il est trié sur le volet, à pousser l'audace réformatrice jusqu'à envisager une réforme de l'orthographe... grammaticale.

Vous avez bien lu, on parle de prélever du lard dans l'accord des participes passés, on parle de rendre ces participes... invariables, dans le cas des accords muets (donc dépourvus de manifestation orale; cela couvre la presque totalité des verbes français, à l'exception d'une partie de ceux du 3e groupe).

Oui, comme en anglais.

Mordre, mordu, mordus, mordue, mordues réduits à mordre et mordu.
Ils se sont battu puis ils se sont aimé.

De cette façon, au moins, pense-t-on dans les meilleures familles, les grands émotions soulevées depuis 20 ans par les toutes petites rectifications recommandées par l'Académie française trouveraient peut-être finalement à se justifier. Et puis sans accord du participe passé pronominal, dont on révise encore les règles quand on a trente ans et plusieurs diplômes de lettres et de linguistique, on gagnerait un temps fou pour enseigner le français à nos enfants, en ne conservant que l'accord en genre audible à l'oral: assise, recluse, close, ouverte...

Pour enseigner le français, enfin :
- l'articulation et verbalisation de la pensée
- l'enrichissement du vocabulaire, la culture de l'expression juste
- la pratique du style
- l'analyse littéraire...

... et pourquoi pas, soyons fous, initiation à la philologie et à l'herméneutique dès la petite école.

Niveler par le haut, libérer leur mémoire et leur temps, éliminer un peu de cette superficialité chronophage pour les inviter à plonger dans la grande culture et les savoirs qui élèvent. Se dégager du temps dans nos programmes scolaires pour réconcilier les jeunes cerveaux avec une histoire civilisatrice des lettres.

J'ouïs un cri d'horreur.

De la langue à l'écriture

Tentons maintenant un exercice de pensée. Imaginons que l'Europe, motivée par le souci de faciliter les communications numériques, entreprenne, comme elle le fit pour les échanges commerciaux en unifiant la monnaie, de sélectionner un alphabet unique qui, désormais, serait employé pour écrire toutes les langues européennes. Ainsi les décideurs auraient à choisir au moins parmi les alphabets latin, hellénique et cyrillique. Reconnaissant d'emblée la richesse inestimable de l'héritage grec, l'Académie européenne de normalisation linguistique ferait consensus sur l'alphabet hellénique.

Les esthètes trouveraient leur compte avec le plus joli des trois alphabets; ses rondeurs appétissantes évoquant la glorieuse et regrettée caroline, si belle, qui déclenche encore les papillons au ventre et les étoiles dans les mirettes du francophile un peu perché.

Comme on convertit aujourd'hui les films VHS au format numérique, il faudrait transférer les classiques des littératures allemande, française, russe, portugaise, danoise, basque, éventuellement balte (héhé) en édition européenne, les retranscrire en ce "nouvel alphabet" unifié. Après une ou deux générations de cohabitation des deux systèmes, les enfants à venir apprendraient exclusivement le nouveau.

Et Stendhal se lirait ainsi :

Υηρ λα φί δϋ ρέπα, ιλ αριυα α ματιιλδ, κι παρλη α γΰλιί, δέ λ'απέλε μώ μητρ.

ιλ ρωγι γύσκω βλά δη ίλϖ.

(Vers la fin du repas, il arriva à Mathilde, qui parlait à Julien, de l'appeler mon maître. Il rougit jusqu'au blanc des yeux.)

(La phonologie du grec attique comptait, grosso modo, 7 voyelles et 17 consonnes phonologiques et graphiques. Le français compte 20 consonnes et 16 voyelles phonologiques. J'ai donc usé de rustines diacritiques afin de rendre certains sons du français inexistants dans l'alphabet hellénique, comme on le fait avec l'alphabet latin, tout aussi insuffisant pour rendre la richesse phonologique exceptionnelle du français.)

L'orthographe du français est morte, vive l'orthographe.
L'accord des participes passés, aux oubliettes, dans l'écriture du français en alphabet hellénique.

Dès lors, que reste-t-il de notre langue tant aimée? Que reste-t-il des formules sublimes de nos plus grands auteurs? Que reste-t-il du génie de la langue, une fois enterrée la notion même d'orthographe?

Tout.

Les mots, les phrases, les sons, le style, l'esprit, les idées, le contenu, la forme, tout, de la langue française, tout est conservé, malgré l'élimination d'une orthographe ancienne et imparfaite, remplacée par une graphie phonologique (on aurait pu aussi , dans notre nouvelle convention écrite, reconduire les anomalies de l'orthographe traditionnelle que nos yeux ont coutume d'associer à l'alphabet latin, mais remarquez que οιγνον ou encore ηλλες σέ ςοντ εμβραςςεές aurait choqué la rétine).

Exit les choux et les hiboux, exit les querelles autour du 'i' d'ognon, exit l'accord des participes passés, pronominaux ou pas.

Et la langue est sauve.

Pourtant... malgré le lien ténu qu'entretient le code graphique avec l'essence même de la langue, je prétends, moi, qu'il serait dommage de radicaliser la réforme en éliminant l'accord des participes passés, car l'exercice de l'accord est un prétexte à l'analyse grammaticale, que je chéris, car elle fournit aux tâtillons et aux enfileurs de chas l'occasion de poser des questions logiques et d'y répondre.

Que ceux qui ne sont pas contents m'accordent immédiatement, et sans ouvrir leur Besherelle, « elles se sont entendu* dire » et « elles se sont succédé* ».


lundi 7 décembre 2009

Hé Jug, file-moi le tarpé


Texte sur la bd et la traduction que quand on a trouvé un titre spirituel
et recherché on est content mais là ça vient pas, zut de zut

En parlant de Colocs en stock publié précédemment, on m’a instamment (et, oui, avouons-le, en usant de chantage) demandé de vous parler de deux de mes dadas, et de la fusion d’iceux, c’est-à-dire la traduction et la BD. Outre l’étalage éhonté de mes capacités mnémoniques, le présent blog a surtout pour but de mettre un baume sur ces moments de notre enfance à nous tous, ces instants magiques où, assis, vautrés, indolents, fût-ce sur un canapé (genre sofa, pas craquelin paris-pâté/olive), un lit, un pédalo ou un trivial bidet, nous nous régalâmes des aventures de Betty et Veronica et d’Archie Andrews et son mode de vie plutôt polygame, et que soudainement, paf, une faute d’orthographe, infâme, ou une tournure mal foutue, la salope, ou autre maladresse d’écriture ou de traduction, scrogneugneu, fichait le gag en l’air, brisait le rêve, nous laissait nus, seuls dans le froid d’un monde pourri, torve, déliquescent et cacateux.

Je m’emporte.

Enfin, je vous parle des joies, défis et nombreux pièges de traduire la BD. Ben je vous propose, hein, sinon, y a plein d’autres choses à voir, Internet regorge de vidéos de singes qui se grattent le derrière ou d’éléphants qui accouchent live (authentique). Comme ça, les pauvres gens de chez Éditions Héritage et leurs traductions foireuses (« Formid! Sympa! Hé Jug, on se roule un tarpé? ») seront à demi pardonnés… ou non.

Parce que vous, lecteurs de bd étrangère même pas écrite dans notre langue, vous pensez que traduire ça se fait en soufflant dessus ou en babelfishant? Que non! Y a des degrés de difficulté insoupçonnés. Le premier : la taille du phylactère. Vous avez déjà traduit du PowerPoint? Un tableau Excel? Dans une combinaison de langues où la langue d’arrivée est fichtrement plus longue que celle de départ? Sacrant, vous dites? Pas le droit de mettre tout en police 3 points! Et quand vous devez rendre « Cool » dans une bulle de ¼ de pouce carré et que ça donne « Supertittenaffengeiltopcool, Mann »? Faut tricher, improviser, sans rien perdre dans le transfert (oui bon « cool » c’est universel, c’était qu’un exemple, là), et on peut pas vraiment faire de la compensation comme en traduction littéraire (c.-à-d. changer une tournure ou une figure de style plus loin dans le texte) : le phylactère est immédiat, présent, instantané, et ça réduit l’éventail de solutions.

Parlant d’immédiatateté*, autre contrainte : les petits dessins, là, les p’tits Mickeys, ben ils bougent. Bon, en fait, ils signifient le mouvement. Et avec le caractère immédiat de la bédé, les personnages, ils ont pas le choix, ils joignent toujours le geste et la parole – ils obéissent au dessinateur qui, manque de pot, est la plupart du temps, lui aussi locuteur de cette langue de départ imbécile qui a la fâcheuse tendance à ne pas être le français. « Ben là pas grave, pfff », unisonnez-vous. Ah oui? Les Malais, ils font oui de la tête comme nous, on fait non, c.-à-d. qu’ils opinent pour refuser. Le « ok » américain, joindre le pouce et l’index en laissant les trois autres doigts en éventail, geste positif et plein de joie, signifie un gros zéro et son corollaire, « pôv’ con », dans certaines parties d’Europe. Tous ces petits drôles de faits, mis ensemble, contribuent à causer moult emmerdes et aident pas à la satisfaction de délais avec tout ça non mais.

Autre raison de se péter la tête sur son clavier en dressant à très haute voix les accessoires d’un prêtre?

Mise en situation : Deux personnages font du patin à roulettes. Le patin de l’un grince, l’autre dit : achète une autre paire. L’autre : je suis trop grigou.

Outre le mot « grigou » qui a défrisé le plus calvicieux d’entre nous, cette discussion entre mecs à patins à roulettes est tellement anodine qu’on s’en contre-torcherait allègrement le nombril avec le pinceau de l’indifférence, et ce, avec l’énergie du désespoir. Mais un rapide coup d’œil sur la v.o.a. nous indique un incroyable jeu de mots du second personnage : « I’m a cheap skate! ». Skate, patin. À roulette. Cheap, ben cheap, quoi. Lol, l’eaule, l’haut-le. Pété des R, nous sommes. Mais comment, bordel, traduire l’intraduisible dans ces conditions? C’est la que le bât fesse. Pas de place pour expliciter, pas d’esquive à cause de l’image, et l’expression idiomatique/calembour choit comme une vieille chaussette deçà, delà pareil à la feuille morte. Dure loi de la jungle, et je vous avoue que lire de la bédé traduite, je suis pas capable, je lis et transpose en même temps en cherchant la blague ou la tournure originelle. Faiche.

Dernier point, pas du sujet, vous allez m’en trouver plein, petits canaillous, mais dernier que moi je dis, là, là : l’aspect « localisation ». Il ressemble à la difficulté précédente (jeu de mots), mais selon l’aspect culturel de la langue d’arrivée par rapport à la langue de départ. Pasque Internet et Twitter ont pas encore uniformisé le monde, il reste des contrées reculées, primitives et infestées de tous-nus qui – ô stupeur – ignorent les idées telles « lol », « Wal-mart » et « Doritos ». Je sais. Et en plus, ces peuplades barbares s’attachent à des concepts non-fondés affublés de l’amusant terme « histoire » et des mythes soi-disant « fondateurs ». Alors, à cause de principe du révélateur culturel, les aventures de Green Lantern, personnage arborant le justaucorps émeraude, prend une teinte assez intense en certains endroits, genre en territoire palestinien, où le vert a une importance toute spéciale (googlez-le, pas de raison que je me tape tout le travail ici, merdre). Et Wonder-Woman chez les Talibans, euh, comment dire…pas super évident.
D’aucuns me diront que ces cas n’ont pas d’importance, puisque aucun éditeur ne s’essaierait à publier dans de tels cas-limites. D’autres de ces aucuns, plus cons, diront que de toute façon ces tenants d’un folklore rétrograde ne savent pas lire anéwé. Nous tairons ces xénophobes, et je leur dis qu’il n’y a pas de petit profit, et que de toutes façons, un jour tout le monde connaîtra les péripéties de Bob et Bobette, qu’ils le veuillent ou non. Cependant, pour le traducteur, à part amenuiser l’incidence d’une phrase culturellement non-recevable, et espérer que le personnage ne fera aucun geste ni n’arborera une couleur risquée pour son lectorat, y a pas grand-chose d’autre à faire. Après tout, caveat emptor, les locuteurs auront le choix d’acheter la bédé ou non, le traducteur traduit, rend le sens (ou le non-), fait de son mieux pour transférer l’émotion et les mécanismes linguistiques avec les moyens qu’il a. Et puis, même si la version traduite « sent » la traduction, ça donne un petit kick au lecteur et lui permet de comprendre une réalité étrangère à la sienne, ou, à tout le moins, un indice que des gens vivent, lisent, rient et bédéent d’une façon autre – mais pas mauvaise.

*Oui, je sais. C’est voulu. Z’avez pas remarqué que j’avais mis cette phrase en Verdana (Sarcastic)?

Le français a changé ma vie

Un ami linguiste m’a fait cadeau de ce petit livre d’Alain Stanké (publié aux éditions Michel Brûlé), qui maîtrise le français fort bien, ma foi, pour une cinquième langue, devenue pratiquement maternelle conséquemment à sa "seconde naissance" ici.

J’avais un faible pour le personnage de Stanké qui, sans vouloir m’appesantir en anecdotes personnelles (le dire, c’est le faire?), était copain avec cette inoubliable professeure de français d’un collège de Sherbrooke et de ce fait, avait l’habitude de présenter son livre Des barbelés dans ma mémoire, récit d’un enfant lituanien de la guerre, aux régiments de collégiennes de troisième secondaire qui s’y succédaient.

L’homme avait profondément touché mon cœur de gamine avec ses récits pleins de sensibilité. Je me souviens, en particulier, du petit Stanké dissimulant des croûtons de pain sous les vêtements avant de partir au camp. Et des gros doigts enflés de ce beau monsieur, le vrai, l’adulte, qui témoignaient des disettes et privations de la guerre.

J’ai donc lu Le français a changé ma vie avec un a priori positif; le livre eût été mauvais, je l’eus néanmoins encensé (soyez patients, je pratique les conjugaisons désuètes, épreuve olympique des jeux d’automne, je compte me présenter pour l’équipe du Québec, merci).

J'y retrouve l'homme à tout faire attachant, un poil hyperactif et parfaitement sincère, l'homme qui a vécu la guerre en innocent, qui me plaît toujours autant.

L’écriture n’est pas le souci principal de ce livre. Cela m’étonne puisqu’il y est question d’amour d’une langue, mais on peut pardonner la maladresse stylistique (par exemple, le mot Gaudriole se répète à la page 48 et il ne s’agit pas d’une figure de style, voilà qui n'est pas très habile) sachant qu’il ne s’agit pas de la langue maternelle de l’auteur. On dirait un blogue sur papier en fait. Une diversité formidable de sujets plus passionnants les uns que les autres, traités chacun beaucoup trop succinctement: couleurs locales, variation géographique, changement du sens des mots dans le temps, anecdotes embarrassantes et contresens, réflexions personnelles sur les cultures francophones, langue et sexisme... tous illustrés d’exemples et d’historiettes.

Exemples dont j’aimerais vérifier la validité: est-il exact que Assassiner signifiait « Ennuyer » au XVIIe? Une vérification rapide dans le Robert historique confirme ce que l’on devine, qu’il s’agit d’un sens métaphorique (par ailleurs productif, pensons à Ça me tue, Il m’assomme , etc.) que Stanké aura pris au pied de la lettre, ou mieux encore, comme je l’aime bien, je le soupçonne d’injecter gratuitement dans nos réseaux de ces petites légendes urbaines que chacun prendra pour stricte vérité dans dix ans, vous savez, comme l’origine du mot québécois Quétaine, soi-disant issu du patronyme Keaton, de Saint-Hyacinthe... CELA EST FAUX!...

...mais alimente néanmoins l’étymologie populaire, aussi serais-je bien malheureuse si, mon lectorat prenant de l’expansion par quelque improbable circonstance de la vie, cette dénonciation chagrine venait à saboter véritablement les tentatives charmantes de Monsieur Stanké pour alimenter si espièglement le bassin de nos connaissances linguistiques populaires, lesquelles n’ont surtout pas nécessité d’être vraies.

Un peu comme ce titre de section « Montréal parlait français avant la France », p. 69.

Hum.