Affichage des articles dont le libellé est opinion. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est opinion. Afficher tous les articles

mercredi 21 juillet 2010

Sémantique ludique

Vous connaissez ce jeu amusant qui consiste, en lisant l’hébreu, à deviner les voyelles que, par parti pris ludique, on n’écrit plus que pour les enfants et les aveugles?


La communauté sémite n’est pas la seule à cultiver l’usage de la devinette systématique dans l’usage de sa langue. Nos cousins anglo-saxons, en effet, font de même en permettant l’agglutination débridée de noms, liés entre eux par des relations sémantiques tacites que le lecteur/interlocuteur non natif en est réduit à deviner (voire à inventer), sans préposition ni indice pour le guider dans son interprétation (sa construction?) du sens précis de la phrase.

Ce procédé syntaxique, bien qu’il puisse sembler, à première vue, pour un esprit français ultra-analytique, nuire au potentiel de précision des énoncés, comporte certains avantages: facile à apprendre et à utiliser, souple, robuste, laissant la porte ouverte à toutes les interprétations, cultivant un flou artistique reflétant bien le principe de liberté individuelle si cher à la culture anglo-saxonne.

On ne s’étonnera pas que certains milieux professionnels francophones en soient venus à l’adopter aussi dans la production de leur documentation technique.

Qu’est-ce, en fin de compte, qu’un «processus système»?

La réponse vous appartient.

lundi 15 mars 2010

Appel à la tradition


Débat sur l’orhographe: résumé des épisodes précédents

Ce billet s’inscrit dans un dossier sur les arguments classiques du débat sur l’orthographe ouvert l’automne dernier (le dossier, pas le débat). Dans le cadre de ce dossier, nous avons présenté avec plus ou moins d’humour, de mauvaise foi et d’ironie, en général plus que moins d’ailleurs (à tout le moins plus qu’aujourd’hui, si j’en crois le style quasi académique soporifique qui caractérise le début de mon intro, et dont la présente parenthèse, non contente de pasticher les procédés favoris de mon camarade Délèque, gâche l’harmonie) du côté réformiste: l’Argumentum ad populum, l’Argument démocratique, l’Argument fonctionnaliste et du côté puriste, ou conservateur, ou fixiste, ou antiréformiste l’Argument sémantique et l’Argument (généralement fallacieux) esthétique.

L’Appel à la tradition

L’argument implicite de base de la position antiréformiste est un appel à la tradition. Pourquoi changer ce qui est bel et bon, pourquoi vandaliser l’œuvre des anciens, cent fois reconduite par les produits de l’édition imprimée depuis deux cent ans? L’observateur profane voit en l’orthographe française un tout fini et monolithique, donné, en soi, par quelque divinité académique qui en aurait une fois pour toutes fixé les règles (et surtout les exceptions) sur une tablette de marbre originelle, quelque part entre la renaissance et la modernité. Étrange prémisse, en vérité, qui mériterait une longue méditation à elle seule (quelles qualités confèrent à une entité la sacralité requise pour prétendre au statut de monument de conservation? La perfection? Le prestige magique de l’idole?).

Orthographe mouvante

Il nous suffira de rappeler à ceux-là que l’orthographe que nous employons aujourd’hui n’est fixée que depuis 1835, et ce, au terme d’une série de modifications qui furent successivement entérinées par l’usage des imprimeurs, puis celui du public, dans le cadre d’une mouvance assez naturelle. Dans son excellente Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, Chevrel nous rappelle les faits:


(Tableau reproduit à partir de Chevrel, André, Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, 2006, éditions Retz, Paris, p. 118)

Que vaut l’immanence de l’i d’oignon sous un tel éclairage?

La tradition? Laquelle, donc?

samedi 23 janvier 2010

Langue et prestige


L’histoire de l’histoire du français nous révèle que, depuis la renaissance, la recherche de la filiation véritable du français donne lieu à des tensions idéologiques pas encore tout à fait éteintes aujourd’hui (voir «Le français ne vient pas du latin», l’ouvrage d’Yves Cortez ou le billet de ce blogue). Les recherches comparatistes d’alors se penchent sur quatre langues candidates à la maternité du français: le latin, le grec, le celte et l’hébreu. Puis on postule, pour régler le problème des différences de structure importantes qui semblent éloigner le latin classique du français moderne, un latin vulgaire dérivant du latin classique, chaînon manquant entre les deux langues.

Si les historiens de la langue se rassemblent, depuis le 19e siècle, autour de la thèse du latin vulgaire comme langue mère du français, les écrits à l’appui de l’origine celte trouvent un soutien marginal continu depuis le 18e, souvent motivé par un sentiment nationaliste:

[...] nous ferons voir que, si l’on excepte un certain nombre de termes relatifs aux lettres, aux arts et aux sciences, termes empruntés par nous au latin, qui les avait lui-même empruntés au grec, la langue française est entièrement originale et nationale, même dans les mots usuels qui lui sont communs avec la langue latine.1

L’argument essentiel de ceux-là pour refuser ce qu’ils appellent «le dogme académique» n’est pourtant pas absurde:

Le moyen d’accueillir sans rire une doctrine d’après laquelle six millions de paysans gaulois, disséminés dans des provinces isolées, se seraient tous entendus, laboureurs, pâtres, bûcherons, mineurs, matelots, sans exception d’une seule contrée, d’une seule vallée, d’un seul village, d’une seule famille, pour oublier tous à la fois leur langue nationale, celle dans laquelle ils nommaient leurs travaux, leurs outils, leurs animaux domestiques, celle qu’ils employaient avec leurs femmes et avec leurs enfants, et se seraient spontanément mis à parler latin, lorsque, de nos jours, sous nos yeux, l’élite de la jeunesse, guidée par les meilleurs professeurs, pâlit sept années sur la langue latine, sans réussir à la parler couramment?2

À cette objection, les historiens de la langue, dont Bernard Cerquiglini, répondent:

[...] le gaulois s’éteignit en Gaule, pour des raisons qui tiennent plus au prestige de la culture romaine (routes, administration, écoles puis le christianisme) qu’à une quelconque coercition […]3

Puissance du prestige culturel encore illustrée plus loin par le cas de conquérants militaires, cette fois, qui renoncent à leur langue adopter celle (le gallo-roman) qu'ils auraient associée à une civilisation supérieure, même en déclin:

L’histoire nous a malheureusement appris que les envahisseurs et les colonisateurs ont coutume de disqualifier la langue des conquis, voire de la faire disparaitre* par le prestige (celtique en Gaule) ou par les armes (langues amérindiennes). Rendus maitres de la Gaule du Nord, les Francs qui avaient [...] la force pour seule culture furent séduits par la civilisation gallo-romane et l’adoptèrent [...].4

(Encore un peu plus tard, l'aristocratie franque devenue gallo-romanophone et finalement bien installée au pouvoir des royaumes du Nord-Ouest, sa façon distincte, parce que germanisée, de causer le gallo-roman aurait été imitée par le peuple. Ainsi, par la force du prestige nouveau de l'élite politique se serait répandue la tendance à laisser tomber les syllabes non accentuées (je simplifie) qui, plus que toute autre spécificité des langues d'Oil, a contribué à faire du français cette langue si singulièrement différente du reste de la famille des langues romanes.)

Invitation à la méditation: «furent séduits par la civilisation gallo-romane et l’adoptèrent». Séduits par la modernité, par le raffinement, par la puissance tranquille de la civilisation maîtresse du monde. Comme cela paraît étrangement plausible aujourd’hui, quand on observe l’inclination presque amoureuse du managériat et du commerce français pour le langage de la Pax Americana.

Allez, soyez pas réac’, quoi!

Le Future, les gars, le Future!!!



_____________________________________

* L’ouvrage applique les rectifications orthographiques.
1 Granier de Cassagnac, Histoire des origines de la langue française, Paris F. Didot, 1872.
2 Idem.
3 Cerquiglini, Bernard; Corbeil, Jean-Claude et al, Le français dans tous ses états, Champs Flammarion, 2000.
4 Idem.

samedi 12 décembre 2009

Désaccords chez les participes passés

Pierre Foglia écrit ceci dans la Presse du 10 décembre 2009 :

______________________________________

Cet exercice sur les anglicismes est proposé aux élèves du primaire de la commission scolaire Marie-Victorin (Rive-Sud).

Trouve le bon mot : Caroline a eu (du fun, du plaisir)...

Notez au passage le degré de difficulté. Mais bon, ce n'est pas pour ça que je ronchonne. C'est pour les deux questions suivantes :

Tu as (checker, vérifier) le mot dans le dictionnaire.

Le directeur a (annulée, cancellée) la soirée de danse.

Ce qu'il y a de gênant, ici, n'est pas que des fautes aussi grossières aient pu se glisser dans un devoir scolaire. Ce qu'il y a de gênant, c'est que pas un directeur d'école de cette commission scolaire, pas une enseignante - en supposant qu'ils et elles sachent encore accorder les participes passés et les différencier des infinitifs - que pas un, disais-je, ne se soit fait entendre assez fort pour qu'on retire ce matériel «pédagogique» de la circulation.

Quant aux parents, n'en parlons pas. Sauf celui qui m'a alerté, je suppose qu'ils sont tous très occupés dans le comité de l'arbre de Noël. On les remercie de leur engagement.

_______________________________________________

Je me scandalise avec vous, parents et journalistes, du fait que certains professeurs n'ont pas la rigueur d'appliquer une norme (celle de l'accord des participes passés) à laquelle ils astreignent (et on se demande bien comment) leurs élèves.

Rendre les participes passés invariables en français?

Toutefois, il existe une tendance, chez les professionnels de la langue qui ont le privilège de faire partie de mon entourage dont vous devinez certainement qu'il est trié sur le volet, à pousser l'audace réformatrice jusqu'à envisager une réforme de l'orthographe... grammaticale.

Vous avez bien lu, on parle de prélever du lard dans l'accord des participes passés, on parle de rendre ces participes... invariables, dans le cas des accords muets (donc dépourvus de manifestation orale; cela couvre la presque totalité des verbes français, à l'exception d'une partie de ceux du 3e groupe).

Oui, comme en anglais.

Mordre, mordu, mordus, mordue, mordues réduits à mordre et mordu.
Ils se sont battu puis ils se sont aimé.

De cette façon, au moins, pense-t-on dans les meilleures familles, les grands émotions soulevées depuis 20 ans par les toutes petites rectifications recommandées par l'Académie française trouveraient peut-être finalement à se justifier. Et puis sans accord du participe passé pronominal, dont on révise encore les règles quand on a trente ans et plusieurs diplômes de lettres et de linguistique, on gagnerait un temps fou pour enseigner le français à nos enfants, en ne conservant que l'accord en genre audible à l'oral: assise, recluse, close, ouverte...

Pour enseigner le français, enfin :
- l'articulation et verbalisation de la pensée
- l'enrichissement du vocabulaire, la culture de l'expression juste
- la pratique du style
- l'analyse littéraire...

... et pourquoi pas, soyons fous, initiation à la philologie et à l'herméneutique dès la petite école.

Niveler par le haut, libérer leur mémoire et leur temps, éliminer un peu de cette superficialité chronophage pour les inviter à plonger dans la grande culture et les savoirs qui élèvent. Se dégager du temps dans nos programmes scolaires pour réconcilier les jeunes cerveaux avec une histoire civilisatrice des lettres.

J'ouïs un cri d'horreur.

De la langue à l'écriture

Tentons maintenant un exercice de pensée. Imaginons que l'Europe, motivée par le souci de faciliter les communications numériques, entreprenne, comme elle le fit pour les échanges commerciaux en unifiant la monnaie, de sélectionner un alphabet unique qui, désormais, serait employé pour écrire toutes les langues européennes. Ainsi les décideurs auraient à choisir au moins parmi les alphabets latin, hellénique et cyrillique. Reconnaissant d'emblée la richesse inestimable de l'héritage grec, l'Académie européenne de normalisation linguistique ferait consensus sur l'alphabet hellénique.

Les esthètes trouveraient leur compte avec le plus joli des trois alphabets; ses rondeurs appétissantes évoquant la glorieuse et regrettée caroline, si belle, qui déclenche encore les papillons au ventre et les étoiles dans les mirettes du francophile un peu perché.

Comme on convertit aujourd'hui les films VHS au format numérique, il faudrait transférer les classiques des littératures allemande, française, russe, portugaise, danoise, basque, éventuellement balte (héhé) en édition européenne, les retranscrire en ce "nouvel alphabet" unifié. Après une ou deux générations de cohabitation des deux systèmes, les enfants à venir apprendraient exclusivement le nouveau.

Et Stendhal se lirait ainsi :

Υηρ λα φί δϋ ρέπα, ιλ αριυα α ματιιλδ, κι παρλη α γΰλιί, δέ λ'απέλε μώ μητρ.

ιλ ρωγι γύσκω βλά δη ίλϖ.

(Vers la fin du repas, il arriva à Mathilde, qui parlait à Julien, de l'appeler mon maître. Il rougit jusqu'au blanc des yeux.)

(La phonologie du grec attique comptait, grosso modo, 7 voyelles et 17 consonnes phonologiques et graphiques. Le français compte 20 consonnes et 16 voyelles phonologiques. J'ai donc usé de rustines diacritiques afin de rendre certains sons du français inexistants dans l'alphabet hellénique, comme on le fait avec l'alphabet latin, tout aussi insuffisant pour rendre la richesse phonologique exceptionnelle du français.)

L'orthographe du français est morte, vive l'orthographe.
L'accord des participes passés, aux oubliettes, dans l'écriture du français en alphabet hellénique.

Dès lors, que reste-t-il de notre langue tant aimée? Que reste-t-il des formules sublimes de nos plus grands auteurs? Que reste-t-il du génie de la langue, une fois enterrée la notion même d'orthographe?

Tout.

Les mots, les phrases, les sons, le style, l'esprit, les idées, le contenu, la forme, tout, de la langue française, tout est conservé, malgré l'élimination d'une orthographe ancienne et imparfaite, remplacée par une graphie phonologique (on aurait pu aussi , dans notre nouvelle convention écrite, reconduire les anomalies de l'orthographe traditionnelle que nos yeux ont coutume d'associer à l'alphabet latin, mais remarquez que οιγνον ou encore ηλλες σέ ςοντ εμβραςςεές aurait choqué la rétine).

Exit les choux et les hiboux, exit les querelles autour du 'i' d'ognon, exit l'accord des participes passés, pronominaux ou pas.

Et la langue est sauve.

Pourtant... malgré le lien ténu qu'entretient le code graphique avec l'essence même de la langue, je prétends, moi, qu'il serait dommage de radicaliser la réforme en éliminant l'accord des participes passés, car l'exercice de l'accord est un prétexte à l'analyse grammaticale, que je chéris, car elle fournit aux tâtillons et aux enfileurs de chas l'occasion de poser des questions logiques et d'y répondre.

Que ceux qui ne sont pas contents m'accordent immédiatement, et sans ouvrir leur Besherelle, « elles se sont entendu* dire » et « elles se sont succédé* ».


vendredi 20 novembre 2009

Des barbares et des oignons

Je n'investirai pas plus de temps dans ce commentaire que Patrick Lagacé ne le fit pour le sien.

Contexte: soubresaut orthographique de fin d'automne.

Le bloggueur ouvre les yeux, brutalement, sur un monde nouveau, un monde qui n'est plus le sien, insensiblement manipulé, ici et là, par les barbares de l'érosion linguistique, et constate avec horreur que désormais, même les ministères d'ici et de là-bas, diaboliquement appuyés par des ouvrages de référence trafiqués, complotent pour saboter le confort et la douce tiédeur de la chère orthographe de son enfance.

Coin de table pour coin de table, je lui réponds, mais rapidement!

* * *

PL: Le hic, évidemment, c’est que les enfants qui écrivent « ognon » ne l’écrivent probablement pas en se réclamant de la nouvelle orthographe.

PB: De fait, il est possible que cette graphie de leur main soit plus simplement le résultat de l'application de leur intelligence et de leur connaissance générale de l'écriture alphabétique.

Intuitivement, ils commencent à savoir que le son [o] en syllabe initiale ouverte des mots français issus de l'évolution phonologique lente et naturelle de la langue (par opposition aux emprunts tardifs du grec et du latin) a tendance à s'écrire 'o', et jamais 'oi'.

PL: On va tout simplement fermer les yeux sur un enfant qui « réussit » à écrire « ognon », sans même savoir qu’il peut l’écrire sans le i entre le o et le g.

Tu voulais écrire "avec le i entre le o et le g", sans doute?
Et sans doute "fermer les yeux sur le fait que"?

(Les barbares de l'érosion linguistique sont-ils à nos portes?
Je crois, pour ma part, qu'ils sont installés tranquillement à la table de la cuisine, et depuis toujours, narrant le vide, et que le crime anodin de leur absence de génie ne menace en rien l'intelligence humaine et ses produits.)

Brèfle.

Patrick Lagacé, quand tu écris "le français", j'espère que ce n'est pas en cédant à la facilité d'écrire la seconde voyelle du mot conformément aux règles orthographiques générales, mais bien en sachant que si tu as le droit, en fait la prescription, d'écrire "français" plutôt que "françois", c'est la conséquence d'une réforme qu'en 1835, la communauté linguistique a bien dû se résoudre à accepter, quoique tardivement.

PL: Absurde, évidemment.

Héhé, évidemment...

mardi 10 novembre 2009

Tintin, Georges Dor et moi



Plutôt par hasard, j'ai mis la main sur Colocs en stock, cet album de Tintin (originalement Coke en stock) "traduit" en québécois oralisant, qui a fait l'objet d'un savoureux billet de Délèque il y a quelques semaines. Je m'attendais à un truc affligeant, rédigé dans une langue fictive, grossière représentation des Québécois imaginée par un alloglosse des vieux pays, tant était dure la critique d'ici à l'égard de cet exercice.

J'ai pas aimé:

Il est vrai que le titre est ridicule.

Qu'un reporter de la mi-siècle-dernier s'exprimant en langue populaire (C'te zouve-là!) anéantit la crédibilité de l'histoire (ce que le titre avait déjà fait, de toutes façons).

Que la mise en graphie de certains phénomènes oraux (pas toujours exclusivement québécois d'ailleurs... les tournures françaises autochtones d'Amérique sont plus rares qu'on ne le croit) est aléatoire, limite incohérente (ex.: *quossez que (p. 1) mais quossé (p. 3)).

Ajoutons que tout au long du "texte", on confond "parler québécois" et "parler français familier" (C'est pas, et autres élisions courantes à l'oral).

J'ai aimé:

Pourtant, déformation académique de linguiste sans doute, j'ai apprécié la justesse et la richesse des expressions choisies par Yves Laberge (J'vous en passe un papier, Ne pas l'emporter en paradis, Patiner dins coins, Être sur la trotte, Arranger le portrait...).

La couverture des québécismes est astucieuse, généreuse, à un degré qui, je l'admets, fait sentir la "liste de mots à ploguer" par moment (connaissez-vous l'expression Ou c'est qu'on peut vous toucher? Moi non plus).

Mais on sent que la recherche a été menée avec sérieux, que l'auteur a réfléchi sur sa langue. Certaines observations sont subtiles, comme le relâchement des contraintes sémantiques sur l'objet de 'dire', dans Dire son adresse.

L'ensemble du lexique choisi contient peu d'anglicismes (Laberge nous fait une fleur, sur ce coup-là!) et de nombreux mots bien français aux consonnances poitevines.

Tintin et moi

Attention, je ne dis pas que j'ai dévoré cette bédé d'un couvert à l'autre, ni que sa lecture m'a provoqué des palpitations. Tintin, en wallon, en québécois comme en nain de jardin, c'est ennuyant à crever. Conçu pour faire voyager le garçonnet des années cinquante dans univers colonial réconfortant, l'eunuque belge a mal vieilli.

Et justement, soyons honnêtes, on ne lit pas Colocs en stock pour lire Coke en stock dans un dialecte plus intelligible, de même que l'album n'a pas été publié pour rendre accessible la haute culture belge à une horde d'allophones excentrés.

Cet album est un produit commercial, un sous-produit de la série des Tintin, qui fait le bonheur des collectionneurs, et éventuellement celui de quiconque est animé d'une certaine curiosité à l'égard d'usages français exotiques et méconnus.

Tintin pi toé

Seulement comme chaque fois qu'il est question des parlures d'ici, les critiques d'ici se montrent émotifs, et voilà pourquoi je reviens sur le sujet:

"Je trouve vraiment déplorable cette publication de Tintin en pseudo-québecois, qui fait encore une fois paraître le français d'ici comme étant une variété inférieure du français parlé[...]".

Pierre Calvé, "Colocs en stock: erreur boréale", Le Droit


Une variété inférieure

Encore!
Toujours la même histoire.

Français. Populaire. Joual. Ouvrier. Moué. Québec. Toué. Balbutiements. Barbares. Sous-hommes. Cracher par terre. Parler breton. Inférieurs.

Selon quels critères?

Bienvenue dans le champ sémantique inépuisable du mépris.

Quelle que soit la nature et la qualité du patois en question, la précision de son lexique, quel que soit l'intérêt de ses filiations linguistiques, le jugement porté sur ladite variété de langue est le reflet du jugement porté sur la communauté qui l'emploie, et pas autre chose.

Ce jugement d'infériorité porté par le pourtant linguiste auteur de cette critique signe un mol intérêt pour l'histoire de la langue et la richesse des lexiques français ainsi que son grand mépris pour les classes... "inférieures"; pour les parleurs ruraux, familiers, non-diplômés, ouvriers, qui osent colporter des archaïsmes taillés pour la rime riche tels que Amanchure, Champelure, Babine et Margoulette; tels que Bardasser, Crinquer et Embarquer; tels que Vlimeux, Jasant et Malcommode.

Cette erreur de raisonnement, qui entraîne tant de grandes gueules à confondre l'objet de leur "évaluation linguistique" avec l'objet humain de leur profond mépris, donnons-lui le nom du mépris fait homme: le georgedorisme.

Sans savoir toujours l'exprimer de façon nuancée, les Québécois sont vexés qu'on présente systématiquement leurs usages comme formant une variété exclusivement orale, se jouant dans les registres familier à vulgaire. Les critiques de Colocs en stock et de toute oeuvre écrite en langue orale du Québec sentent bien que les variétés de français québécois illustrées dans l'ouvrage ne sont pas celles des classes instruites de la population québécoise, et ce reflet collant de notre passé d'illetrisme et de soumission fait mal.

N'allez pas raisonner qu'à l'écrit et en registre formel, les différences entre français québécois et français-de-France sont trop minces pour illustrer quoi que ce soit de ludique, que nos Partagiciel et Écrivaine n'emplissent pas le bonnet du plus modeste phylactère. N'exposez pas à leur égo identitaire sensible que l'éloignement géographique et le changement de registre sont sources d'inépuisables amusements langagiers (pensez aux 150 petits chefs-d'oeuvre de San-Antonio), et que cela est universel.

Québécois, Québécoises, laissons donc nos homoglottes de là-bas se réjouir de notre différence, ou de celle de votre voisin, si vous préférez, et réjouissons-nous de même.

Avec un peu de confiance en soi, on en arrive à regarder tout ça un peu plus froidement; la langue vit, et heureusement, se diversifie encore, du moins à l'oral, et heureusement, pas encore trop à l'écrit.

Quoique.


mercredi 4 novembre 2009

Dix bonnes raisons et deux néologismes

"Le gouvernement [français] "enrichit" le français de deux néologismes", L'Express, 4 novembre 2009

Au fil des joutes entre l'opposition et le gouvernement, mais aussi des querelles de la majorité, la langue française s'est enrichie en deux jours de deux néologismes: "imprivatisable" et "inénervable".

Dix excellentes raisons pour inventer un mot

... quitte, parfois, à fonder le néologisme sur un emprunt...
... quitte à ce que cet emprunt soit prélevé chez une langue concurrente...
... quitte à ce que cette langue concurrente soit politiquement dominante...

1. Parce qu'il n'existe aucun mot de sens équivalent en français.

2. Pour exprimer un peu d'affection à la morphologie dérivationnelle.

3. Pour choquer Denise Bombardier et Georges d'or.

4. Pour enrichir un ensemble de synonymes.

5. Pour rigoler.

6. Pour exprimer en un seul mot ce qu'on exprimait avant en plusieurs.

7. Pour exploiter un suffixe folichon: -ure, -ette, -olle, -oche...

8. Pour la rime.

9. Pour confondre ses adversaires.

10. Parce que personne à table n'a trouvé le mot juste.


Et une pour la chance:

11. Pour affubler le composé latin d'un doublon grec.

vendredi 30 octobre 2009

I'lltake it!


La peste soit des actualités!

Une mère désespérante se rate mais réussit ses enfants.

Dans un accident de la route, quatre ados en pièces détachées et une cinquième revole d'un coffre de voiture, qu'on se demandait bien ce qu'elle y faisait.
(Quoi mon pronom relatif? Cet usage du 'que' te semble inesthétique? Quoi? incorrect? Ha mais c'est un hommage à son usage classique. On en recausera devant un bon feu de bois un de ces soirs.)

Un jugement de la cours suprême...

... invalide le segment de loi qui assurait la transmission du français comme langue usuelle (seconde) aux enfants de l'immigration québécoise...

Hélasse, hélasse, hélasse.

Toutes les consternations ont été exprimées, dans les journaux comme dans les salons francophones québécois, au sujet de ce jugement. Je vous épargnerai l'argumentation visant à démontrer qu'en contexte de perte de vitesse du français comme langue usuelle dans la métropole de cette province hésitante, l'espoir de la pérennité française repose dans la francisation des nouveaux Montréalais etc.

Et ferai semblant de m'intéresser à la vision alternative de l'avenir du français en Amérique du Nord, cette vision d'une candeur gamine, selon laquelle une langue menacée dans son milieu survivra à l'expansion gourmande et trop souvent unilingue du dialecte des affaires grâce à son dynamisme, à son charisme, en somme, à sa valeur promotionnelle, au-delà de toute politique.

Pour ne pas gâcher l'ambiance, je ferai mine de croire que, comme au temps d'un autre siècle, ou l'avidité matérielle était publiquement jugée comme vulgaire, la valeur culturelle d'un bien collectif peut rivaliser, en termes de force d'attraction, avec la rentabilité d'un bien concurrent.

Comment faire en sorte, donc, que les immigrants du Québec, qui ont maintenant libre choix, choisissent le français pour leurs enfants?

Tortueux détour par un sujet grave pour aboutir encore au carrefour des obsessions françaises les plus frivoles: l'orthographe!

Débat sur l'orthographe: l'Argument promotionnel

Vrai, si l'on en croit certains tenants de la simplification orthographique, une bonne réforme faciliterait l'apprentissage du français langue seconde ou étrangère et contribuerait à l'expansion du français.

Cet argument fut conçu pour épouser les contours bien définis d'un débat français(de-France, comme précisent parfois les francopériphériques). Voyez comme il est amusant en contexte de tensions linguistiques d'une fédération centralisée au coeur de laquelle cohabitent au moins deux langues de statut inégal:

La charte de la langue française du Québec ainsi que la Loi 101 vont dans le mur. La politique ne sera d'aucun secours à Montréal pour "encourager" les allophones à envoyer leurs enfants à l'école en français. Non. Quelques publicités bien ciblées dans les métros, genre "le français, c'est cool!", dans les toilettes publiques, et un beau ménage dans les diacritiques superflus feront la job.

Mettez-nous une multinationale circasienne et une chanteuse bilingue avec ça, et ça se vendra comme un petit pain chaud!

mercredi 14 octobre 2009

C'est bien plus beau lorsque c'est inutile

Résumé des épisodes précédents: À la guerre comme à la guerre! Comme chaque automne, anciens et maudernes s'arrachent les cheveux autour du débat cyclique sur l'orthographe: simplifier, rectifier, refonder ou fixer dans le granit la convention écrite? Dans cette série de billets, je tente de schématiser le débat en présentant un à un les arguments mastiqués depuis 500 ans, tantôt pour reconduire la tradition, tantôt pour l'éventrer (nous reparlerons du code SMS!), le plus souvent pour l'amender, puis j'établirai des liens entre ces arguments, qui se répondent l'un l'autre. Dans ce réseau de billets courts, linguistes-réformistes affrontent écrivains-antiréformistes, abstraits ou personnifiés au gré de mes humeurs.

Dans les épisodes précédents, nous avons vu, du côté des réformistes, le type socialement correct user de l'argument démocratique, incriminant la difficulté et l'irrégularité du code écrit comme instruments de discrimination sociale. Cet argument a fait bloc avec l'Argumentum ad populum, selon lequel toutes les langues doivent un jour ou l'autre passer par une modernisation de leur orthographe, contre l'argument sémantique des antiréformistes, qui versent une larme à la perspective de voir rejetées certaines de nos pratiques graphiques porteuses d'un sens étymologique, tel le 'ph' issu d'emprunts du grec.


Mais il y a plus.

Jetez un écrivain dans la mêlée et s'élèveront des plaintes à vous déchirer les boyaux. À grands cris, les artistes de la chose écrite défendront l'"esthétique" de "leur" "langue", la coquetterie de l'inutile, le charme de la complication, la beauté du patrimoine, la sagesse de la tradition, l'aura mystique des fossiles de l'histoire de l'écriture du français, en somme, jusqu'à revendiquer, chez les plus radicaux, la création d'une nouvelle liste de pluriels rebelles qui viendrait s'ajouter à celle des choux z'et des hiboux.

J'exagère.

Le sophisme tient dans l'inversion de la causalité amoureuse: l'"esthète" croit que le 'oi' de l'oignon est entré dans l'orthodoxie en raison son esthétisme, alors que, de toute évidence, la chose lui semble pure et jolie, à l'inverse, parce qu'il s'y est habitué, contre toute raison.

La circularité du raisonnement donne le vertige: "c'est la tradition, donc c'est bon", puis "c'est beau, donc il faut le conserver".

L'Esprit français repose entier en cet argument.

L'Esprit français.

En quoi consiste-t-il?
Essentiellement à s'opposer à...
l'Esprit anglais!

Et en quoi consiste l'Esprit anglais?

La pensée pragmatique.

C'est au linguiste, au technicien, au fonctionnaliste, à la pensée efficace, bref, à la pragmatique anglo-saxonne, que s'adresse l'écrivain français lorsqu'il braille, soulevant l'enthousiasme de la foule,

C'est bien plus beau lorsque c'est inutile!!!

dimanche 4 octobre 2009

De l'intelligence de la langue et de la clarté de la pensée

La grammaire est la clarté de la pensée.

L'orthographe, c'est le génie de la langue française.
(Alain Bentolila)

Incantations.

Creuses?

Ces formules punchées ont-elle un sens, au-delà de leur apparente vacuité?

Cette "intelligence", invoquée par les fixistes, qui résiderait dans une consonne muette et les douze graphies du son 'o', est-elle autre chose que le dérisoire objet de culte d'un fanatique de la tradition abonné au Figaro?

Quelle est la richesse de ce barrage de difficultés érigé au fil des siècles sans autre plan que celui de la contingence de l'histoire?

L'argument sémantique: orthographe grammaticale et marques étymologiques

"La deuxième [réforme proposée par André Chevrel] consisterait à supprimer les lettres grecques, le h chaque fois qu’il est étymologique (rhume, thèse et même chœur : tant pis pour l’homonymie) et le y qui serait remplacé par un icycle, système, tyran) ; pour le groupe ph, il suffirait de le remplacer par un f (phénomène, philosophe). " A cela nous répondons tout d’abord qu’une telle proposition s’appuie sur des erreurs : le " i grec " n’a rien d’un " i ", c’est un " u ". De même, le " ph " grec n’a aucun rapport avec un " f " ; c’est un " p " aspiré (pour des raisons propres à la phonétique grecque), raison pour laquelle on l’a transcrit " p " + " h ". Ensuite, nous répondons que maintenir la graphie " ph " permet de rapprocher " op-h-talmique " de " op-tique " ou de " my(o)-ope ", par exemple. Le maintien des graphies permet de travailler le lexique français à partir de semblables rapprochements, et cette légèreté à évincer leur dimension étymologique pose donc un sérieux problème : c’est la possibilité d’accéder à l’explication d’une part importante de l’orthographe lexicale qui disparaît, en sus de la liquidation de l’apport sémantique de l’étymologie."
- Luc Richer

Voilà pour le volet étymologique de l'Argument sémantique.

Et encore Bentolila, à propos de l'orthographe grammaticale:

"Il faut au préalable distinguer orthographe usuelle et orthographe grammaticale. Tout le monde parle de simplifier l'orthographe, mais ce faisant, on mélange tout. Il est hors de question de simplifier la grammaire, car elle traduit la façon de penser la langue. Accorder des participes, conjuguer correctement un verbe sont des processus fondamentaux. Ils donnent à voir que tel verbe va avec tel sujet, que c'est bien celui-ci qui agit et non un autre, qu'un pronom est d'un genre particulier parce qu'il se rapporte à tel nom, que « laquelle » renvoie à Sophie et non à « Pierre ». Celui qui ne maîtrise pas ça ne parvient pas à structurer le monde et ses catégories. Ce qui transparaît à travers l'orthographe grammaticale est la clarté de la pensée."
- Alain Bentolila

L'argument est le même dans les deux cas: s'il fallait rectifier l'orthographe de telle façon qu'elle corresponde plus adéquatement à la prononciation moderne du français, il serait dommage d'éliminer des graphies qui, quoique complexifiant le rapport entre la lettre et le son, sont néanmoins porteuses de sens.

À cet argument très valable on pourrait toujours répondre que l'apprentissage de l'étymologie peut fort bien se passer de telles traces graphiques, que l'information relative à l'étymologie d'un mot peut-être stockée dans une entrée de dictionnaire sans l'être dans la graphie.

samedi 3 octobre 2009

Bienheureux les simples d'esprit

Gauchistes et bons chrétiens logés à l'enseigne de la réforme invoquent l'Argument moral démocratique, empreint d'altruisme et de noblesse de cœur.

- André Chevrel

Remarquez que les premiers, bons sentiments ou pas, se seraient dans tous les cas laissés convaincre par la touche révolutionnaire, la musique du progrès en marche, de la position anti-traditionnelle, alors que les seconds, cultivant la nostalgie des martyrs d'antan, ne ratent aucune occasion d'offrir leur sincérité touchante en sacrifice aux puissantes divinités du cynisme et de l'élitisme. En somme, ils tendent l'autre joue à l'Argumentum ad crumenam et à l'Argument du faux problème.

Et quand l'écrivain bobo, la tête d'affiche du grand théâtre des lettres françaises, lui bave: "nivellement par le bas! À mort les ignorants! Touche pas à ma langue!" (dont un exemple hilarant, sur lequel je reviendrai, est celui de ce brave vieux Martineau, un peu confus mais pas bien méchant), le bigot, lui, répond: "Bienheureux les simples d'esprit, car ils iront au paradis", ou quelque chose comme ça.

Autodérision à part, cette pièce maîtresse et difficilement attaquable de l'argumentation réformiste n'en n'est pas moins largement ridiculisée, avec plus de sincérité que moi, dans ce billet cabotin, par nombre de conservateurs autosatisfaits, qui vont souvent jusqu'à soupçonner l'interlocuteur d'être personnellement marqué au fer rouge des difficultés orthographiques rencontrées à la petite école.

jeudi 1 octobre 2009

Argumentum ad populum

"Actuellement, les ouvrages de référence entrent de plus en plus la nouvelle orthographe. C’est un mouvement irréversible qu’on ne peut pas ignorer. L’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, le Portugal, la Grèce, etc., tous ont simplifié leur orthographe. Dans tous les cas, l’écriture a changé, mais sans la moindre conséquence pour la langue. Dès l’âge de huit ans, les petits Italiens connaissent tout de l’orthographe de leur langue. À l’heure d’Internet, le français doit lui aussi simplifier son orthographe. Il en va de sa survie."
- Aurel Ramat
L'argument est pratique et produit son effet.
Il s'agit, pour légitimer une attitude d'interventionnisme orthographique, de faire appel aux exemples des langues de culture (j'adore cette expression! Le petit côté impérialiste frissonnant de satisfaction! Essayons avec le grand 'C' : "langues de Culture"... Brrrr!) qui ont, au cours de leur histoire, procédé à des réformes radicales:
Ce faisant, le réformiste espère susciter un éclair lumineux chez l'interlocuteur:
"S'ils l'ont fait, ça prouve bien que les systèmes d'écriture de nature alphabétique (donc à l'origine, essentiellement phonétique, voir l'Argument ontologique) des langues de culture doivent nécessairement s'adapter, à la longue, à l'évolution de la langue orale, vivante!".

On (en tout cas je, sans jamais avoir déployé d'efforts notables pour étayer mon point de vue) cite souvent les cas de l'espagnol, du russe, du serbo-croate, du chinois (lequel, oui, je sais)... Et pour être convaincant, le réformiste qui s'aventure en ces eaux doit posséder une connaissance encyclopédique de l'histoire politico-linguistique des communautés sus-mentionnées, pour éventuellement faire la preuve que les réserves du clan adverse ne sont pas fondées en ces cas.

Que la littérature usant de graphies anciennes ne sera pas fichue au rencart.

Que les rééditions et resaisies feront rouler l'économie.

Qu'on ne laissera glisser dans l'oubli aucune icône du panthéon du passé.

Que l'éventuel sens porté par les graphies jetées sera aussi accessible par d'autres moyens.

Or, quelle que soit l'histoire de l'écriture espagnole, s'il se trouve qu'une réforme a dégraissé par exemple les graphèmes porteurs d'un sens morphologique ou étymologique d'une graphie ancienne, les arguments sémantique et culturel demeurent valables. Une trace perdue est une trace perdue.

En somme, invoqué légèrement, cet argument tourne parfois à l'Argumentum ad populum, dans un sens élargi.

mercredi 30 septembre 2009

Plus de règles, moins de listes!

Argument logique (ou fonctionnaliste)
La colonne vertébrale de l'argumentation réformiste.

L'argument fonctionnaliste, égrené essentiellement par des linguistes (dont je suis, mais j'ai pas fait exprès!), vibrant hommage à l'Esprit scientifique, puise son vocabulaire dans le bréviaire de la pensée anglo-saxonne: on y vante l'utile, le pragmatique, le prévisible, l'explicable, le cohérent.

Éliminer les exceptions, les listes de hiboux et de genoux, le par-coeur, pour favoriser un système d'écriture rationnel, dont les règles s'appliquent à tout coup.

À l'appui de cet argument fort, auquel on oppose habituellement les arguments sémantiques et esthétiques (les arguments forts des méchants immobilistes), j'ai entendu jadis une source évidemment perdue depuis dans les brumes de la taverne (ce qui ne m'empêche nullement de récupérer l'illustration dès que j'en ai l'occasion) raconter l'histoire d'un linguiste russe qui avait calculé, pour le français et pour le russe, le nombre de règles à coder dans un programme informatique pour déduire la prononciation d'un mot à partir de sa graphie.

Le résultat (nombre de règles et productivité de chacune) devait fournir la mesure de "fonctionnalité", ce qu'on appelle parfois "l'élégance" (souvent associée à l'économie des règles, en modélisation, alors que dans les domaines de l'éthique mondaine et de la pratique du style, l'économie, surtout lorsqu'elle tend vers la pingreté, nous éloigne de tout idéal d'élégance, morale ou esthétique...), du code orthographique de chacune des deux langues.

D'après mon souvenir, dont je vous interdis de remettre en doute la précision, le savant fou russe avait recensé 5000 règles pour le français, et 10 fois moins pour le russe.

Y a-t-il un russographe dans la salle?

Quelqu'un a-t-il en sa possession la référence de cette étude?

Touche pas à ma langue!

En guise d'ouverture, décortiquons les arguments, peu nombreux mais inlassablement remâchés, qui composent le débat plusieurs fois centenaire entourant chaque tentative de simplification orthographique.

Introduction au débat:

Devant le double constat (sans cesse renouvelé) de l'éloignement progressif entre la norme orthographique et la prononciation du français, d'une part, et celui de la raréfication des locuteurs natifs maîtrisant la norme du français écrit, d'autre part, les réformistes proposent sporadiquement d'apporter des modifications (rectifications, rationalisation, simplification, réforme) à l'orthographe du français.

Leurs opposants, nombreux, braillards, populaires, flamboyants, lettrés, médiatisés, défendent vervement la tradition. Si j'ai hurlé longtemps mon appartenance au clan des réformistes radicaux, je me range maintenant au centre-gauche du débat.

Sénilité? Mollissage? Enflasquement?

Je ne crois pas. Simplement, certains arguments de mes ennemis ont été défendus si brillamment par des Luc Richer et d'autres dont je vous parlerai plus tard qu'ils ont finalement eu raison des miens.