L’histoire de l’histoire du français nous révèle que, depuis la renaissance, la recherche de la filiation véritable du français donne lieu à des tensions idéologiques pas encore tout à fait éteintes aujourd’hui (voir «Le français ne vient pas du latin», l’ouvrage d’Yves Cortez ou le billet de ce blogue). Les recherches comparatistes d’alors se penchent sur quatre langues candidates à la maternité du français: le latin, le grec, le celte et l’hébreu. Puis on postule, pour régler le problème des différences de structure importantes qui semblent éloigner le latin classique du français moderne, un latin vulgaire dérivant du latin classique, chaînon manquant entre les deux langues.
Si les historiens de la langue se rassemblent, depuis le 19e siècle, autour de la thèse du latin vulgaire comme langue mère du français, les écrits à l’appui de l’origine celte trouvent un soutien marginal continu depuis le 18e, souvent motivé par un sentiment nationaliste:
[...] nous ferons voir que, si l’on excepte un certain nombre de termes relatifs aux lettres, aux arts et aux sciences, termes empruntés par nous au latin, qui les avait lui-même empruntés au grec, la langue française est entièrement originale et nationale, même dans les mots usuels qui lui sont communs avec la langue latine.1
L’argument essentiel de ceux-là pour refuser ce qu’ils appellent «le dogme académique» n’est pourtant pas absurde:
Le moyen d’accueillir sans rire une doctrine d’après laquelle six millions de paysans gaulois, disséminés dans des provinces isolées, se seraient tous entendus, laboureurs, pâtres, bûcherons, mineurs, matelots, sans exception d’une seule contrée, d’une seule vallée, d’un seul village, d’une seule famille, pour oublier tous à la fois leur langue nationale, celle dans laquelle ils nommaient leurs travaux, leurs outils, leurs animaux domestiques, celle qu’ils employaient avec leurs femmes et avec leurs enfants, et se seraient spontanément mis à parler latin, lorsque, de nos jours, sous nos yeux, l’élite de la jeunesse, guidée par les meilleurs professeurs, pâlit sept années sur la langue latine, sans réussir à la parler couramment?2
À cette objection, les historiens de la langue, dont Bernard Cerquiglini, répondent:
[...] le gaulois s’éteignit en Gaule, pour des raisons qui tiennent plus au prestige de la culture romaine (routes, administration, écoles puis le christianisme) qu’à une quelconque coercition […]3
Puissance du prestige culturel encore illustrée plus loin par le cas de conquérants militaires, cette fois, qui renoncent à leur langue adopter celle (le gallo-roman) qu'ils auraient associée à une civilisation supérieure, même en déclin:
L’histoire nous a malheureusement appris que les envahisseurs et les colonisateurs ont coutume de disqualifier la langue des conquis, voire de la faire disparaitre* par le prestige (celtique en Gaule) ou par les armes (langues amérindiennes). Rendus maitres de la Gaule du Nord, les Francs qui avaient [...] la force pour seule culture furent séduits par la civilisation gallo-romane et l’adoptèrent [...].4
(Encore un peu plus tard, l'aristocratie franque devenue gallo-romanophone et finalement bien installée au pouvoir des royaumes du Nord-Ouest, sa façon distincte, parce que germanisée, de causer le gallo-roman aurait été imitée par le peuple. Ainsi, par la force du prestige nouveau de l'élite politique se serait répandue la tendance à laisser tomber les syllabes non accentuées (je simplifie) qui, plus que toute autre spécificité des langues d'Oil, a contribué à faire du français cette langue si singulièrement différente du reste de la famille des langues romanes.)
Invitation à la méditation: «furent séduits par la civilisation gallo-romane et l’adoptèrent». Séduits par la modernité, par le raffinement, par la puissance tranquille de la civilisation maîtresse du monde. Comme cela paraît étrangement plausible aujourd’hui, quand on observe l’inclination presque amoureuse du managériat et du commerce français pour le langage de la Pax Americana.
Allez, soyez pas réac’, quoi!
Le Future, les gars, le Future!!!
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* L’ouvrage applique les rectifications orthographiques.
1 Granier de Cassagnac, Histoire des origines de la langue française, Paris F. Didot, 1872.
2 Idem.
3 Cerquiglini, Bernard; Corbeil, Jean-Claude et al, Le français dans tous ses états, Champs Flammarion, 2000.
4 Idem.
Oui, eh bien, "No Future", là !
RépondreSupprimerTinky, ancienne punk et fière de l'être !
PS Je regrette ma coiffure iroquoise à crête verte, moi... Quoique, à quarante-neuf ans, ce serait peut-être un peu poche, comme vous dites ? Voire même franchement quétaine !
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