On entend et on utilise souvent certains mots de façon incorrecte, sans même s’en douter. Généralement, c’est que l’erreur est très répandue, « passée dans l’usage » et donc, on croit que le message est compris comme on le souhaite. Mais selon à qui on s’adresse, il est peut-être présomptueux de croire que notre interlocuteur utilise nécessairement notre idiolecte (
idiolecte : « (Linguistique) Ensemble des particularités langagières propre à un individu donné. »
(1)).
Ainsi, je m’intéresse aujourd’hui à une nuance fine du mot
dispendieux, puisqu’elle semble inconnue de nombreuses gens.
Soit les exemples suivants :
« Je ne peux pas m’offrir ces chaussures à 500 $, elles sont beaucoup trop
dispendieuses! »,
« Mon amie m’a vendu sa voiture Hyundai Accent 1998 pour la somme de 500 $. Je trouve toutefois que cette voiture est
dispendieuse. »,
« Mon amie s’est acheté une voiture neuve pour 35 000 $. Je trouve cette voiture
dispendieuse! ».
Selon vous, laquelle de ces trois phrases présenterait un usage inapproprié du terme
dispendieux? La deuxième? Parce qu’un voiture à 500 $, c’est une vraie aubaine, me direz-vous?
Avant de vous donner la réponse (dont vous vous doutez maintenant sûrement puisque j’y ai attiré votre attention), allons voir de plus près ce qu’en disent quelques dictionnaires.
Ce qu’en dit Le Petit Robert :« Qui exige une grande dépense. Synonymes : cher, coûteux, onéreux. »
(2)Jusqu’ici, on n’est pas vraiment plus avancés. C’est quoi exactement, « une grande dépense »? 500 $ en soi, c’est une grande dépense? On pressent que pour des chaussures, oui, mais pour une voiture, non. Pour la voiture à 35 000 $, par contre, on peut dire avec confiance qu’il s’agit là d’une grande dépense. Donc, selon cette définition, notre intuition nous indique que les chaussures et la voiture neuves sont dispendieuses, alors que la voiture à 500 $ ne l’est pas. Pourtant, 500 $, c’est 500 $, non? Comment définir ce qu’est « une grande dépense »? Il semble manquer à cette définition une notion de ‘par rapport à ce qu’on s’attend à payer’, plus ou moins. Personnellement, je trouve que cette définition du
Petit Robert est bien nébuleuse (ou incomplète). Mais poursuivons…
Ce qu’en dit Le Petit Larousse :« (Litt.) Qui occasionne beaucoup de dépenses. »
(1) (utilisation
littéraire : « mot que l’on rencontre surtout dans les textes écrits »
(1))
Bon, ici, déjà une nuance commence à se dessiner. On peut en effet dire qu’une voiture
occasionne beaucoup de dépenses (il faut dépenser pour la garder en bon état, pour se procurer son carburant, etc.). Mais peut-on vraisemblablement dire qu’une paire de souliers occasionne des dépenses? Outre l’achat initial des godasses (avouez que
godasses, pour des pompes à 500 $, c’est étrange, non? – encore là matière à capsule, peut être? : « quelles sont les nuances sémantiques parmi les différents synonymes de vestiments pédestres »!)… Euh, je disais donc : outre l’achat initial des chaussures et, si on pousse un peu la chose, outre (peut être!) l’achat de quelques produits pour lustrer, nettoyer ou imperméabiliser lesdites chaussures, aucuns autres frais (et hop! on a de la suite dans les idées n’est-ce pas? si vous doutez de l’accord de
aucuns, retournez lire ma
capsule de la semaine dernière – et vive l’autopromotion!) ne devraient être engagés pour les chaussures. Verdict : les godasses, même à 500 $, ne sont donc pas
dispendieuses. Mais mais mais… que sont-elles, dans ce cas?
Ce qu’en dit le Multidictionnaire :« (Litt.) Qui entraîne beaucoup de dépenses. SYN. coûteux, onéreux.
NB : L’emploi de cet adjectif est courant au Québec, mais il est vieilli ou littéraire dans le reste de la francophonie.
NB : Ne pas confondre avec l’adjectif
cher, d’un prix élevé. »
(3)Et voilà! Le gentil
Multi nous éclaircit tout ça! Les chaussures à 500 $ n’étaient donc pas
dispendieuses, mais
chères! Et la voiture neuve à 35 000 $ est
chère elle aussi, mais elle ne devrait vraisemblablement pas devenir particulièrement
dispendieuse (sinon un peu quand même) avant quelques années.
Voici d’ailleurs ce que nous dit le
Multi du mot
cher, dans l’acception qui nous intéresse :
« Qui coûte beaucoup d’argent. »
(3)Ainsi, ma voiture à 500 $ n’était absolument pas
chère, mais demeure
dispendieuse (je vous montrerai les factures de réparation et d’entretien, à témoin). Pour dire vrai, elle devient de plus en plus
dispendieuse au fil des années. Il faudra d’ailleurs sûrement que je songe à m’en acheter une neuve (donc une qui soit
chère, malheureusement) bientôt. Parce que fatalement : si elle est
chère (mais surtout neuve donc), elle ne devrait plus être
dispendieuse… du moins pour quelques années.
(1) [
Le Petit Larousse illustré, édition 1996. Paris.]
(2) [
Le nouveau Petit Robert, édition 2004. Paris.]
(3) [DeVillers, Marie-Éva (2007).
Multidictionnaire de la langue française, 4
e édition. Éditions Québec Amérique inc.]
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