Intérieur, salle de classe, lumière à la chandelle, plan général
McGonagall : Allez, les enfants, retournez dormir!
Scène suivante, extérieur, SOLEIL PÉTANT genre midi, plan américain
Harry, Ron et Hermione : Il reste de l’herbe*?
(Harry Potter et la pierre philosophale)
Extérieur, ensoleillé, plan rapproché
Harry : Nous avons quelque chose que Voldemort n’a pas.
Ron : Ah oui?
Plan en plongée, contre-zoom
Harry : …et qui vaut la peine qu’on se batte… (Fin, générique)
(Harry Potter et l’ordre du phénix)
Chers aminches, chères aminchettes,
Vous l’avez deviné, le post d’aujourd’hui portera sur les adaptations foireuses au cinéma, car nous, fluents bilingues, sommes parfois contraints d’écouter un film en version adaptée parce que minoritaires dans un groupe d’indécrottables monolingues, ou en couple avec une moitié pas si douce et qui « ne veut pas s’escrimer à comprendre », et avec qui la continuité des relations entretenues ne devraient à partir de ce moment que se baser strictement sur des fonctions utilitaires, ce qui, mince alors, nous éloigne de notre propos.
Donc cinoche traduit.
Comme pour la bédé (voir autre post, et non je mets pas de lien, travaillez un peu), l’adaptateur/traducteur doit composer avec de nombreuses contraintes. Non seulement il doit traduire de A à B, mais en plus, il doit le faire selon le dialogue (rappelez-vous les premières minutes d’Astérix et Cléopâtre : les lèvres doivent suivre le texte!). Donc même si le génialissime traducteur trouve la tournure parfaite au mot d’esprit dit par le personnage, même s’il fait un jeu de mot encore plus efficace que la v.o., même si la citation fera école et se trouvera dans tous les biscuits de fortune…ben si les labiales, fricatives et autres occlusionnetées ne marchent pas avec cet imbécile de personnage filmé en gros plan, ca foire. Gros temps**.
Voici comment ça fonctionne : le traducteur écrit les dialogues sur une « bande défilante », qui, comme son nom l’indique avec un à-propos qui nous ébaubit, défilera sous l’image; en studio, le comédien lira cette défilante de telle façon que le texte collera au dialogue (je vous explique pas le minutage, la synchro et tout le bazar, mais laissez-moi vous dire que c’est tout un matos).
Parfois, on peut tricher : les voix off, les plans d’ensemble ou des répliques dites par un personnage dos à la caméra sont plus aisées, plus faciles (et adapter les répliques de HAL dans 2001, non mais ça c’est de la franche rigolade); à l’inverse, on le devine bien, un plan serré ou des lèvres en gros plan, ca demande plus de travail (imaginez si « Rosebud » avait à être rendu par « Plénipotentiaire »).
De plus, notons la contrainte « temps » : ben oui, les traductoches ont des délais de tombée à la con, ça c’est universel. Mais pour une adaptation d’un bloque-beausteure (genre Star Wars, hyyyyyyyyper protégé et confidentiel bicause des fois ça coule sur le Web avant la sortie), et dans un contexte, disons au Québec, ou la loi stipule que TOUTES les salles doivent offrir un film PARTOUT dans la province EN MÊME TEMPS, donc que les camions blindés attendent au studio en tapant du pied à la veille de la sortie, ben ça presse un peu le traducteur en plus de l’équipe technique.
Fait d’ailleurs cocasse : pour Star Wars : La menace fantôme, les comédiens travaillaient avec une version censurée à l’écran. Ils devaient baser leur jeu et leurs intonations sur une version du film en noir et blanc portant en plein milieu la mention CPOYRIGHT LUCASFILMS. Comme quoi même si les traducteurs avaient fait un travail admirable, les comédiens avaient peu de chance de faire autre chose qu’un résultat passablement moyen***. Ah et pour rire, le script du film, en un seul exemplaire, devait passer du traducteur aux techniciens aux comédiens. « Ben faites des photocopies, connards », vous vient spontanément à l’esprit. Ce à quoi j’ajoute que ben je crois bien qu’on y a pensé, mais Lucas (et il est pas le seul, la pratique est courante), pour éviter la diffusion autant du script autant que du film, avait fait tirer ses documents sur du papier rose. Inactinique.
(espace blanc vous donnant le temps de googler ce dernier mot.)
Oui, donc, totalement pas photocopiable. Et le temps de taper au Word? Pas possib’. D’ailleurs, je crois que la loi des droits d’auteur interdit la conversion des scripts en format électronique.
Bref, des heures de plaisir.
Ceci était un préambule. Je voulais donner une idée des conditions dans lesquelles le travail sur lequel je vais joyeusement tapocher est fait, et ce, même si j’abuse des pronoms relatifs dans cette phrase.
Revenons au début : Harry Potter, dans le premier extrait, se fait dire « Go back to your dormitory »; retourne au dortoir. Erreur d’interprétation : retourner au dortoir ne veut pas dire aller dormir, à plus forte raison s’il est midi au soleil tapant (et que le prince des ténèbres veut choper la pierre philosophale,
a fortiori). Et les caupains, même si l’adaptateur adaptait au fur et à mesure du film, son erreur est impardonnable : le script comporte les dialogues et les données techniques (plan de caméra, intérieur/extérieur, didascalies diverses); il pouvait difficilement ignorer qu’il est près de midi (et encore moins les sombres desseins du plus sombre encore prince des ténèbres).
Second extrait : Il passe, me dites-vous. Même si c’est la dernière réplique du film, qui accompagne un plan d’ensemble qui contre-zoome vers un avenir qui chante, et qu’on ne sait pas c’est quoi, ce % »&/&?%$! de quelque chose, que Voldemort a pas, et que eux, ils ont, ca passe.
Je dis : non. Beurk.
En anglais : «We have something Voldemort doesn’t : Something worth fighting for ». « On a quelque chose que Voldemort n’a pas : quelque chose qui vaut la peine d’être défendu », ou « une raison de se battre », ou autre variation. Pas un général et public-en-suspens laissant « …et qui vaut la peine qu’on se batte »! Surtout que le zoom est amorcé : on voit plus vraiment les lèvres des personnages, y a de la place pour tricher…sans dire que, nom d’un bordel de zut, c’est la dernière réplique. Alors non mais hein, quoi.
Petite perle en se laissant : Le film
A time to kill, vous connaissez? Un mec tue les violeurs de sa fille. À la carabine, dans le palais de justice où les criminels (mais c’est des rednecks pas fins, tant mieux pour eux) vont comparaître. Un procès s’ensuit. Comment, pensez-vous, que le film finit? Mmmh? Le titre en français?
Non coupable.
Sans rire.
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* Je me rappelle pas bien en fait
**Big time
***Par contre, les possibilités de rendre un résultat àch’, elles, furent exponentiellement dodécuplées
Je m'éloigne un peu, mais concernant les bourdes de traduction en général:
RépondreSupprimerhttp://www.clubic.com/actualite-318150-humeur-betisier-traductions-francaises.html
Hihi!
J'adore en apprendre un peu sur ces métiers peu connus !!
RépondreSupprimerDans le fond, ce sont des métiers qui semblent assez stressant, et difficiles.
Les traducteurs qui font ça (à toute vitesse, dans des conditions difficiles, pour coller aux lèvres des persos au plus) sont considérés de quelle façon dans le métier ??
Ca m'intéresse aussi.
Bonsoir !
RépondreSupprimerHistoire de vous faire gausser encore plus à grand bruit, en France, hein, c'est encore pire... Ainsi, l'adaptation du premier tome de la saga préhistorique de Jean Auel "Les enfants de la Terre"; intitulé "Clan of the Cave Bear" dans la version originale, et adaptée au cinéma en un navet quasiment aussi chouette que Plan 9 from Outer Space d'Ed Wood, "Clan of the Cave Bear", disais-je, est devenu, Dieu sait par quel miracle de l"ignorance du sujet par le traducteur "Le Clan de la Caverne des Ours", alors qu'il fallait traduire "Le Clan de l'Ours des Cavernes" ! Quand je pense aux excellents anglophones qui sont au chômage et qu'un crétin sûrement bien payé, lui, a pondu ça, ça me fâche, que voulez-vous ! Et non, à l'époque où la traduction du titre a été faite, Google et son traducteur en ligne n'existait pas encore, donc on ne peut lui imputer cette impardonnable bourde !
Bon, puisque c'est comme ça, je m'abonne chez vous, tiens... Et je vous collerai dans mon Pearltrees...
Amicalement, Tinky, qui adore le français et toutes ses variantes...
Chère Cyb,
RépondreSupprimerDe la même façon que certains traducteurs sont spécialisés en trad littéraire, scientifique, ou ornithologique (les pauvres) (non mais sauf si on aime ça), certains se spécialisent en post-synchro, que ce soit volontairement ou non. Ils sont considérés comme traducteurs spécialisés dans un domaine, sans plus (sauf qu'il travaillent dans des studios cool et voient plein de films avant tout le monde, au prix de perdre tout plaisir à les regarder puisque l'heure de tombée avance).
Mais les traducteurs/adaptateurs sont considérés comme des trads 'spécialisés', habiletés à manipuler les outils etles conditions de travail. On apprend encore pas mal 'sur le tas', mais pour qui veut y travailler, c'est possible!
Personnellement, j'ai failli travailler pour une chaine télé pour faire du sous-titrage: les conditions étaient agréables, l'horaire, de soir (13 h- 21 h) mais potable, et le salaire, décent. Dommage, j'aurais bien aimé. Snife.