Le sujet de la capsule d’aujourd’hui m’a été inspiré par ce panneau publicitaire de la compagnie Fido, panneau que j’ai aperçu dans le métro de Montréal alors que je retournais tranquillement chez moi. Si vous l’observez attentivement, vous y apercevrez un léger graffiti, inscrit en bleu, sur le «s» de
aucuns, par quelqu’un qui passait par là et qui s’est senti l’âme d’un correcteur (ou d’une correctrice – mais, si vous me le permettez, je fais partie de ceux (et celles!) qui acceptent sans broncher que, en français, le masculin est «le genre non marqué», tout simplement, n’y voyant là pas même l’ombre d’une considération sexiste; ainsi, j’accepte tout à fait que le masculin inclue le féminin : vous me le pardonnez? – d’ailleurs, je reviendrai peut-être sur le sujet dans le cadre d’une future capsule, qui sait…).
Le problème de ce graffiti, donc, est qu’il a été apposé par un correcteur qui n’en avait cette fois que l’âme, et non les réelles «compétences» linguistiques qu’on aurait pu lui présumer, si je puis m’exprimer ainsi. Et d’apercevoir cette erreur, c’est-à-dire plus exactement l’ajout d’une erreur là où il ne s’en trouvait pas initialement, erreur somme toute assez courante et répandue, eh bien ça m’a fait sourire. C’est pourquoi je me suis permis d’immortaliser la chose pour pouvoir partager mon amusement.
Allons-y de
la capsule grammaticale du jour, maintenant qu’est clos ce préambule : oui, le mot
aucun doit, en principe, toujours être singulier. «En principe». Si vous connaissez ne serait-ce qu’un peu la langue française et vous souvenez de vos cours de grammaire à l’école, vous ne serez pas étonnés d’apprendre que le français est truffé d’exceptions (qui vous font peut-être grincer des dents?) et présente rarement une règle assez simple pour qu’on puisse trancher sans équivoque sur son application par un «oui toujours» ou «non jamais».
Voici donc le secret de l’exception concernant
aucun : il est GÉNÉRALEMENT singulier, sauf dans le cas où il détermine un nom qui ne PEUT PAS être employé au singulier. Comme
frais. Ou encore, mais plus rarement, sauf dans le cas où le pluriel du nom donne un sens particulier, qui soit différent du sens singulier. Par exemple, on dira : «je n’ai eu
aucunes nouvelles de mon amie depuis un mois», puisqu’on ne dit pas «avoir
une nouvelle de quelqu’un», le sens pluriel de
nouvelles ayant ici une signification différente du sens singulier d'
une nouvelle. Vous me suivez?
Ainsi, ces explications nous laissent comprendre que la deuxième affiche, celle d’Ardène, laquelle arbore fièrement
aucunes exceptions pour attirer férocement la clientèle, est, elle, fautive, puisqu’on veut vraisemblablement signifier aux clients que le magasin accepte «zéro exception» quant à l’application du rabais sur les différentes marchandises. Malheureusement, cette pancarte est trop haut perchée (et aussi trop surveillée) pour subir les foudres d’un «graffiteur-correcteur», contrairement à l’annonce de Fido présentée précédemment.
Ce que Grevisse en dit :«Aucun et nul, marquant la quantité zéro, ne s’emploient généralement qu’au singulier. Ils s’emploient au pluriel, devant des noms qui n’ont pas de singulier ou qui prennent au pluriel un sens particulier.»
[GREVISSE, M. (1990).
Précis de grammaire française, 29e édition. Éditions Ducolot, Paris, p. 104.]
Ce que le Petit Robert en dit :«Aucuns, aucunes s'emploie lorsque le nom qu'il accompagne n'a pas de singulier.»
[Version électronique du
Nouveau Petit Robert (1997).]
Ce que Le français au bureau en dit :«L’adjectif indéfini
aucun s’emploie principalement au singulier. Il se met cependant au pluriel avec les noms qui sont toujours au pluriel […].
Aucun se met aussi au pluriel devant un nom qui a un singulier, mais qui est employé dans un contexte où il ne peut être qu’au pluriel.»
[GUILLOTON, N. et H. CAJOLET-LAGANIÈRE (2000).
Le français au bureau, 5e édition. Les publications du Québec, p. 319.]
Simple, non? *sourire amusé* Ce qui est moins simple, me direz-vous, c’est de connaître ces mots qui ne s’emploient jamais au singulier. Ils sont rares, en effet, et il serait sûrement relativement facile d’en dresser la liste. C’est donc un plaisir que je me permets de vous laisser tout entier.
Cartésie chère,
RépondreSupprimerMerci de me laisser ce plaisir, que d'aucuns appelleront 'manie', 'perversion' ou 'aberration de la nature', que de chercher les mots uniquement pluriels (et tiens, pourquoi pas aussi chercher les ceux qui prennent le féminin au pluriel, je suis sûr que amours, orgues et délices ne sont pas les seuls.)
Si je suis conscient de ma propre geekitude? Quelle question!
Au plaisir de vous relire, d'apprendre et de profiter d'autres spéciaux mirobolants chez Ardène,
D.
Oui! Cher Délèque, il faut vite se ruer chez Ardène, pour profiter de leurs «zéros exceptions» sur le spécial en question! ;)
RépondreSupprimerEn français un peu ancien, il arrive qu'aucun soit au pluriel, de même qu'aucune. Une seule expression actuelle a survécu à cette époque, "d'aucuns", dans des expressions telles que "d'aucuns diront que", par exemple, mais c'est quand même très rare !
RépondreSupprimerA buebtôt !
Tinky :-D
Heu, je suis d'accord avec votre propos en soi, Tinky, mais il faut quand même faire la nuance importante entre l'usage de 'aucun' comme déterminant (ou adjectif indéfini), ce dont il était question dans mon billet, et l'usage pronominal de 'aucun', celui dont vous parlez dans votre commentaire. Ce ne sont évidemment pas les mêmes règles qui s'appliquent, comme vous vous en doutez sûrement.
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