lundi 5 octobre 2009

L'amourre d'Alain Rey

Avant de l'avoir vu dans la vitrine de la FNAC ou du Renaud-Bray, on se représente l'homme à la tête du Petit Robert comme un vieillard honorable engoncé dans un costume classique, penché sur un ancien bureau d'acajou dans une salle aux murs couverts de gros livres, tout ça tout ça, quelque chose comme un académiste de style mais en plus progressiste, dans sa tête.

Voyons voir.

Pour la couverture de L'Amour du français, les Éditions Denoël nous ont serti Alain Rey dans un costard safran ridicule et l'ont perché, en tailleur, sur un parapluie en apesanteur, devant un fond nuageux. L'octogénaire porte les cheveux longs, la moustache et des lunettes de clown, touche ultime à cette esthétique lamentable, quoique délirante.

On en a un peu trop fait dans le sens de revamper le rôle et l'image du grand homme des dictionnaires Robert.

Et voilà le sous-titre aux accents de manifeste pour appuyer l'image et le message: Alain Rey est un intervenant progressiste dans la vie de notre langue et le Petit Robert n'a pas son origine dans le giron de l'Académie française. N'est pas non plus le petit catéchisme de l'usage, plutôt un scrapbook, une collection d'observations sur les usages de la langue.

Alain Rey nous expose dans ce livre érudit un texte sentimental, parfois poétique, qui nous ballade dans les temps et les espaces français pour exalter la diversité des usages d'icelle ("icelle"... c'est moi ou il effectue un retour, mine de rien, celui-là, avec son petit frère "icelui"? À quand leur version québécoise, "iceuze"?).

Remarquez, cet essai personnel d'Alain Rey n'est pas le premier texte sur la langue française à flirter avec l'émotion. Les débats sur la langue soulèvent l'émotion, les poussées d'hystérie sont même automatiques lorsqu'on aborde dans les journaux certains sujets comme l'utilisation de SMS. L'émotion suscitée est négative en général, voire proche de la panique: "Arrêtez le massacre! Nos jeunes ne savent plus écrire! L'orthographe fout le camp!", etc.

Alain Rey, totalement à contre-courant, couve son sujet ainsi que la réalité d'un oeil énamouré et un rien coquin. Il aborde candidement les questions de bilinguisme comme celle du SMS. Il observe la langue vivante et les profondes transformations qui opèrent dans l'utilisation du code par les jeunes bip-bip sans s'évanouir de frayeur devant l'affligeant constat de la régression morale et spirituelle de l'espèce.

Il prend le code écrit pour ce qu'il est, pure forme:

"Car les formalismes normalisés de l'écriture - des rituels qui trahissent en l'école laïque une religiosité refoulée - favorisent la passion d'obéissance beaucoup plus que la souplesse admise dans la prononciation. Là, règne la tolérance au nom de laquelle des nuées d'adolescents produisent des séquences vocales supposées françaises incompréhensibles pour la majorité des francophones. Et la rigueur disparaît complètement lorsque l'essentiel est en cause, la sémantique, le sens, alors même que la plupart y voient la fonction majeure du langage. Socialement, le faux sens, qui consiste à employer un signe autrement que ne l'exigerait la convention réellement collective qui en définit l'effet, ou à le comprendre "mal", n'est pas une faute. Tout juste un signe d'inculture ou d'étourderie."
- Alain Rey, "L'amour de la langue", pp. 245-246

La sérénité du vieil homme fait grimper les alarmistes au plafond, dont certains sont au moins fichus de paniquer avec grâce et talent:

"Prenant appui sur le fait que « l'avenir est aux couleurs des fantasmes » - on ne saurait le nier -, l'auteur rit des pessimistes ; il se gausse des inquiets (dont je suis), des rabat-joie qui n'ont qu'une confiance limitée, vu l'évolution du monde, dans l'avenir de notre langue. Il les appelle des « Cassandre », sans prendre garde à l'ambiguïté de cette appellation moqueuse, car la petite Cassandre avait raison sur toute la ligne : Troie fut bel et bien détruite, et Priam égorgé."

- Claude Duneton, Le Figaro

1 commentaire:

  1. :D j'aime beaucoup, je me suis beaucoup amusée à la lecture de cet article.

    D'ailleurs, j'ai appris plein de trucs. Icelle, mais également ... Ce qui me réconforte et m'agace en même temps.

    => En musique, il a fallu pour reconnaitre le steel band comme "orchestre" ou "véritable instrument" que ces ensembles reprennent des classiques, de la musique "savante".
    Il suffit qu'un homme érudit fasse valoir ses arguments pour qu'ils prennent du poids : ce n'est plus par incapacité de suivre l'orthographe, mais bien par théorie et pensée argumentée logiquement que cet homme me fait réfléchir, et non en expliquant "oui mé le francé C tro compliké"

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